Voici une chronique où je ne me ferai pas d’amis, ni à gauche ni à droite. Tant pis, les lecteurs « ordinaires » devraient s’y retrouver.

Il fut question dernièrement de journalisme militant, que certains pratiquent déjà dans différents médias. Il s’agit, principalement pour de jeunes journalistes, de faire avancer des causes auxquelles ils croient à travers leur travail, que ce soient les questions environnementales, sociales, féministes, de diversité, d’éducation, etc., quitte à privilégier certains faits et données et à en omettre d’autres. Ce type de journalisme engagé a fait l’objet d’un atelier mouvementé au récent congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), et d’une mise au point de François Cardinal.⁠1 Elon Musk, le maître de Twitter, en a appelé dans un gazouillis au « journalisme citoyen », qu’il oppose à l’élitisme médiatique.

Pour les uns, cette pratique représente l’avenir engagé. Pour les autres, c’est une hérésie, car le journaliste doit apporter un éclairage objectif sur les faits afin que le citoyen puisse former son propre jugement. Le journalisme militant est parfois moralisateur, la propagande n’est pas loin. Il donne des munitions aux sceptiques qui se méfient des médias et qui croient que la presse est à la solde du Capital et du Pouvoir.

Ce type de journalisme peut rebuter, mais à bien y penser… des nuances s’imposent.

D’abord, parce que plus que jamais, le citoyen doit faire le tri et s’alimenter à plusieurs sources médiatiques. Il est difficile d’adhérer à cette vision manichéenne des choses, où la légendaire objectivité s’opposerait au vertueux militantisme.

Car aujourd’hui, dans TOUS les médias, le commentariat triomphe. C’est souvent le fait d’ex-politiciens, de membres de cabinets de relations publiques. Ils ont des clients ou des amis à ne pas froisser. Les médias mainstream ont tous, ben oui, leur lot de militants soft (insérez ici le nom de votre tête de Turc préférée).

Le prosélytisme existe aussi. Plusieurs grands médias appartiennent à, ou défendent des intérêts précis, à gauche COMME à droite. Ça va de l’agenda multiculturaliste à l’identitaire. Ces groupes ont des objectifs, une ligne de pensée, voire des visées politiques. Ils ne sont ni neutres ni objectifs. Ainsi, CBC invitait ses travailleurs de l’information à participer à une activité commémorant les pensionnats pour Autochtones. Une ligne a été allègrement franchie ici. L’information est nécessaire, mais le militantisme, lorsque pratiqué par une institution publique, est particulièrement pernicieux.

Le militantisme s’exprime déjà dans des revues nichées. Même si leur poids n’est pas très conséquent, elles existent. Quant aux réseaux sociaux, les opinions militantes y pullulent, ce qui teinte notre appréciation générale de certains enjeux et qui modèle et transforme notre regard, pour le meilleur comme pour le pire. Les réseaux sociaux sont des chambres d’écho, on l’a assez souligné. Nous y trouvons des opinions qui confortent les nôtres et qui nous amènent progressivement à trouver l’information traditionnelle fade et timorée, ce qui est un leurre.

Présenter les journalistes militants comme les fossoyeurs de l’information pure n’est pas faux, mais en même temps, avouons-le, un peu biaisé.

Le travail journalistique de fond, avec des enquêtes, des correspondants, des reporters sur le terrain, des données colligées, analysées et approfondies, ça coûte cher et ça prend du temps que l’instantanéité de l’époque déteste. Les temps sont à broil. Ça fait maintenant des années que les médias traditionnels ont en partie cédé, ouvrant un espace de plus en plus conséquent aux opinionneurs (dont je suis), qui coûtent moins cher et rapportent plus, à court terme, que le travail d’information de fond, celui qui est la base de tout le reste. Moins divertissant, par contre, mais qui est, plus que jamais, la base de choix éclairés en démocratie.

On peut regretter un âge d’or mythique du journalisme tendant à l’objectivité, mais pas en mettant tout le blâme sur les jeunes journalistes militants ou, surtout, en fermant les yeux sur les enjeux de pouvoir qui motivent certains groupes de presse et en font de réels groupes militants.

Le journalisme militant non seulement est là pour de bon, mais à coups de commentariat exubérant, les médias traditionnels ont en quelque sorte accéléré son acceptabilité sociale. Curieux paradoxe, dans une époque elle-même militante.

Cessons de jouer les vierges offensées. Mais ne soyons pas dupes pour autant. Sachons qu’avec des organes de presse défendant des couleurs idéologiques affirmées et des journalistes militants à visière levée pour des causes précises, les médias donnent des munitions à ceux qui se méfient d’eux, qui les défient, qui crient aux fake news dès qu’un journaliste ou un commentateur (pour eux, c’est pareil) ne va pas dans leur sens. Et qu’ils représentent un pourcentage croissant de nos concitoyens…

1. Lisez le texte de François Cardinal