J’entends souvent, depuis samedi soir, que « Pierre Poilievre ne peut pas gagner ». En fait, la dernière fois que j’ai entendu la même phrase aussi souvent, c’est quand on disait « Stephen Harper ne peut pas gagner ». On connaît la suite.

En fait, Pierre Poilievre a plusieurs atouts qu’il serait bien imprudent de négliger. D’abord, il y a le mandat qu’il a reçu. Avec près de 70 % des voix des membres de son parti, M. Poilievre a carte blanche. Il n’aura pas à faire tous les compromis qu’ont dû faire tous ses prédécesseurs pour garder leur parti uni.

Il n’y a plus, pour ainsi dire, d’aile « progressiste-conservatrice » dans le parti de Pierre Poilievre. Il peut faire les nominations qu’il voudra et choisir les thèmes qu’il voudra, personne ne va venir le contester de l’intérieur.

C’est un peu ce qu’on voit dans les partis conservateurs un peu partout dans le monde. Les chefs populistes et plus franchement logés à droite sont de plus en plus nombreux et populaires.

Tout cela permettra à M. Poilievre de se concentrer sur son seul et unique objectif, soit de s’assurer de battre Justin Trudeau à la prochaine élection.

M. Poilievre a donné un bon exemple de ce qu’il entend faire dans son discours de samedi soir : il ne va pas essayer d’aller vers un message plus centriste, il va tout simplement oublier d’insister sur les portions les plus clivantes de son discours de campagne.

Plus de congédiement du gouverneur de la Banque du Canada ou de ses ministres qui auraient la mauvaise idée d’aller au Forum économique de Davos. Plus de cryptomonnaie. Plus de menaces de fermer la CBC.

Mais, par contre, tout plein d’attaques bien ciblées contre le gouvernement Trudeau, à la fois sur son bilan économique et sur son incapacité à livrer les services gouvernementaux de base.

M. Trudeau a beau répliquer qu’il ne regrette rien des dépenses importantes qui ont été faites pendant la pandémie, il lui sera bien difficile – comme pour tout gouvernement sortant – de ne pas vivre avec les conséquences de l’inflation ou d’un ralentissement économique.

Très clairement, le nouveau chef conservateur veut que la conversation, au cours des prochains mois et, si possible jusqu’à la prochaine campagne, tourne autour du chèque de paie, de l’inflation et du déficit. Des thèmes assez traditionnels pour les conservateurs et qui ont l’avantage d’être moins ésotériques et plus quotidiens que la liberté par la cryptomonnaie.

Par ailleurs, M. Poilievre arrive à un bon moment pour l’opposition et pour l’alternance. Il y a des cycles politiques au Canada qui durent, grosso modo, une dizaine d’années.

Brian Mulroney fut au pouvoir pendant neuf ans, Jean Chrétien pendant dix ans, Stephen Harper pendant neuf ans et demi. Et si Justin Trudeau se rend à la fin de son mandat en 2025, il aura été au pouvoir pendant dix ans lui aussi.

Ce n’est pas de la numérologie. À un moment donné, l’électorat croit qu’il est dans son intérêt de changer de parti et d’équipe au pouvoir. La fin de ce cycle politique devrait jouer en faveur de M. Poilievre.

Ce qui fait qu’on ne devrait pas s’attendre à ce que le nouveau chef conservateur passe le plus clair de son temps à attaquer M. Trudeau à la période des questions aux Communes, même s’il est un redoutable débatteur et que le spectacle risque fort d’être souvent à son avantage.

Thomas Mulcair a bien montré qu’être l’un des plus efficaces chefs de l’opposition aux Communes ne compte pas pour grand-chose quand vient le temps de la bagarre électorale. M. Poilievre sait qu’il ne doit pas commettre la même erreur.

Bien sûr, à court terme, il faudra gérer la démission d’Alain Rayes. Mais malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour le député de Richmond-Arthabaska, il ne s’agit pas d’une grosse pointure en politique québécoise et il n’a pas le gabarit pour incarner une opposition interne à son nouveau chef. D’autant que, comme organisateur de Jean Charest au Québec, il aura perdu 72 circonscriptions sur 78, y compris la sienne.

Il aurait été dramatique pour M. Poilievre de perdre plusieurs membres de son caucus québécois. Mais en allant les rencontrer dès le lendemain de son élection, le nouveau chef semble avoir réussi à limiter les dégâts.

D’autant que M. Poilievre aura des avantages sur ses prédécesseurs récents au Parti conservateur quand viendra le temps de faire campagne au Québec. Son français n’est pas parfait, mais il le parle avec une aisance que ses prédécesseurs du dernier quart de siècle ne pourraient qu’envier.

Bref, il n’ira pas à un débat des chefs en français pour ne faire que de la figuration. Pour les conservateurs québécois, ce sera déjà une très nette amélioration.