Si j’étais béluga, je délirerais à l’idée que j’ai 40 000 chances par année de me faire passer sur le corps par un traversier à l’entrée de la rivière Saguenay, entre Tadoussac et Baie-Sainte-Catherine⁠1.

Pour notre sécurité, je militerais d’emblée pour la présence de piliers fixes et prévisibles d’un pont. Mais voilà, on n’a pas encore octroyé le droit de vote aux bélugas, ce qui relativiserait mon tirant politique.

Il y a toujours l’idée d’un comité de pression, comité de cétacés, mais ça ne sera pas facile. Les baleines bleues ne sont pas fiables, se prennent pour des vedettes, les grosses ne voudront rien changer au décor.

Bon, il y a toujours les capelans, quand ils sont dans les parages, mais si l’idée est de peser dans la balance, toute un job d’en faire une tonne. Pour les dauphins égarés, oubliez ça, des immigrants illégaux.

Et mes voisins, les humains qui habitent la Côte-Nord, qui ne couvrent que deux circonscriptions au provincial, et une seule au fédéral, Manicouagan. Pas aidant, ça, des broutilles pour les partis politiques.

Misère ! On aurait dû régler ça quand Brian était premier ministre.

Comme j’ai vécu un peu partout, j’ai aussi habité Sept-Îles pendant quatre ans, à partir de l’âge de 10 ans. Rue Iberville.

Je me souviens que pour les vacances d’été, et pour les Fêtes, nous descendions en famille en bas – nous n’étions pas à un pléonasme près –, en bas étant vers l’ouest. Nécessairement, parce que du côté est, la route 138 se terminait à la rivière Moisie, le bout du monde, à quelques kilomètres de Sept-Îles.

Et le bonheur, pour nous les enfants, était d’arriver à la traverse, et de prendre le bateau, c’est-à-dire le traversier entre les deux rives de l’embouchure du Saguenay.

Bien romantique, tout cela. Mais au risque de décevoir la progéniture d’aujourd’hui, c’est bien beau, les balades sur l’eau, mais ça fait broche à foin et retardé, en plein milieu du chemin, la traverse.

Il est pas mal le temps de se questionner sérieusement sur le fait que dans un Québec qu’on dit moderne, il n’y ait pas encore de pont sur le Saguenay à la hauteur de la route 138.

Comment se fait-il qu’on en discute depuis près d’un siècle ? Pourquoi trois des cinq partis qui sollicitent le vote des Nord-Côtiers ont-ils été au pouvoir dans les dernières années et n’ont rien fait de concret ?

Encore plus, pourquoi n’investissons-nous pas plus dans les navires pour traverser le fleuve, et qui devraient traverser le golfe, à partir du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, et inversement, afin d’augmenter leurs fréquences, et atteindre l’efficacité scandinave ?

Si, dans les premières pages du grand précis sur l’économie, on explique qu’une des prémisses à la prospérité est le transport des biens et des personnes, pourquoi en est-on encore rendu là ?

Et je vous épargne pour l’instant tout le dossier du transport aérien régional, où nous restons encore traumatisés par l’expérience Québecair. Faudrait dégivrer un jour.

Pour le pont, je comprends qu’on procède à une étude d’opportunité.

Ha ben, voyons donc, toé !

Pourquoi là, une étude d’opportunité, et pas pour le troisième lien ?

À Québec, le gouvernement est sûr qu’on a besoin d’un troisième lien, et on s’en tape de cette étude, mais on n’est pas sûr d’avoir besoin du pont sur le Saguenay ?

Allo, là-haut !

Ground Control to Major Tom. (David Bowie)

Major Legault, et tous ceux et celle qui veulent le devenir, on pourrait atterrir rapidement là-dessus ?

Et surtout pour le développement économique de la région, admettons, si cela peut aider dans le discours.

Mettons-nous dans la peau d’un président d’entreprise, par exemple, et que nous songions à la Côte-Nord pour implanter un nouvel établissement commercial ou industriel. Un établissement qui ne fait pas dans les ressources naturelles, et qui pourrait aider la région à sortir de la mono-industrialité.

Notre VP Finances chaufferait son algorithme des coûts, et nous reviendrait pour nous rafraîchir les idées, nous ramener les yeux vis-à-vis des trous.

Il nous expliquerait que l’attente au traversier peut aller jusqu’à deux heures, et que l’option de rechange serait de faire le tour par Saguenay, au prix de trois heures de route supplémentaires.

Le temps étant de l’argent, comme le kilométrage, je vous confirme que nous aurions de grandes chances d’oublier cette idée éthérée, et d’aller se faire voir ailleurs.

Et on fera les jars concernant le développement économique régional pendant cette campagne électorale. Très bien, alors il est peut-être temps que la Côte-Nord mette résolument le pied dans XXIe siècle, les amis ?

Allez, les politiciens, on cesse d’être frileux, là, on saute à l’eau !

1. Nombre annuel de traversées effectuées par un traversier entre ces deux localités.

Lisez « Sur la Côte-Nord, un pont pour la liberté »

Entre nous

Première à Québec du film Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique. J’y étais.

Ça fesse fort. Très fort. Et c’est ce qu’il fallait.

On en sort avec un sentiment de révolte pesant dans le fond de l’estomac.

Le Québec s’est récemment ému, avec raison, de la violence pendant cette campagne électorale.

Cet épisode permettra peut-être à tout le monde de comprendre le quotidien des politiciennes et des femmes journalistes à Québec, depuis fort longtemps.

Particulièrement les femmes journalistes.

Parce que les pleutres ont ceci en commun de s’attaquer beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes de ce métier.

De vrais guerriers, les morons en bobettes.

Ce film est une œuvre pédagogique incontournable. De la graine de carrière internationale, selon moi.

Mes hommages, mesdames Clermont-Dion et Maroist.