Ce n’était pas à Québec, je le précise, je ne veux pas me retrouver à l’index chez moi.

C’était un matin, quelque part sur la Terre. L’estomac est creux, et gémit.

Je commande à l’auto deux Timatins, « Entre deux pains, avec œuf et fromage », selon l’Académie française. Un avec jambon, et l’autre avec bacon.

Je reçois le tout, avec oui, jambon et bacon, mais ces deux suppléments seuls entre deux tranches de bagel, sans œufs et sans fromage… Rachitiques, les Timatins.

L’estomac, dépité, lâche prise et s’en contente.

La veille, j’avais commandé dans un resto une salade au thon, qui m’a été servie… sans thon !

Une mauvaise passe.

Depuis un an ou deux, je vis un énorme stress à l’idée d’arriver après 20 h dans la capitale de l’entre-deux, Drummondville, et d’être incapable de me sustenter.

Bien sûr, il me reste ce sandwich mollasson dans le frigidaire d’un dépanneur, qui me fait de l’œil, désespérant d’être le seul de sa promotion à ne pouvoir séduire un preneur.

À chacune de mes visites au supermarché, j’ai aussi l’impression de me retrouver dans les couloirs d’une école secondaire, tellement le personnel rajeunit à vue d’œil. Moyenne d’âge actuelle selon moi, secondaire 4.

Et je suis un ti-mon’oncle. Depuis des décennies, je déguste la même pizza, de la même chaîne de restaurants. Elle me réconforte, m’apaise, me rattache au sol et me fait voyager dans le temps, passé. Mais ma dernière expérience avec elle m’a traumatisé. Elle m’a trahi, elle ne goûtait plus pareil ! J’en ai été brisé. Comme si je devenais orphelin.

Je ne peux expliquer si ce désastre était le lot de la jeunesse aux fours, ou de la radinerie des propriétaires qui en auraient changé la recette.

Une fois tous ces désagréments exposés, mais avouons qu’il y a pire dans le Donbass actuellement, loin de moi l’idée de vouloir blâmer ces jeunes qui ont pris la relève dans tellement de commerces au Québec, ni même les commerçants.

Mais n’empêche.

Tout le monde comprend aujourd’hui ce que les démographes répètent depuis des années, parce qu’on sent maintenant l’impact si près de nous. Il y a une crise extrêmement sérieuse de main-d’œuvre, une pénurie, et on n’en voit pas le bout.

Bien sûr, il aurait fallu que les gouvernements des dernières décennies voient plus loin que le bout de leur nez. Mais comme les conséquences n’étaient pas immédiates, on a laissé le paquet au suivant, et ainsi de suite. Pierre qui roule…

Il n’y a pas que de l’indifférence de la part de nos gouvernements, ce serait injuste de le supposer. Des gestes ont été posés, comme l’investissement important du gouvernement du Québec en formation dans les métiers stratégiques, annoncé il y a quelques mois. Comme l’annonce de la CAQ de la semaine dernière sur la formation professionnelle.

Mais quand vous lisez les programmes des autres partis, jusqu’à maintenant, à part les propositions connues sur les travailleurs retraités, on est dans les grands énoncés de principe, vaporeux, qui ne valent pas cher la livre. Au total, avec ce qui est sur la table, ça ne sera pas suffisant.

Pourquoi ne sent-on pas d’urgence nationale, alors qu’on sait qu’on est dans la mélasse jusqu’au cou ?

Pourquoi n’explique-t-on pas qu’il manquera tant de travailleurs dans les prochaines décennies, et qu’on a un plan global, clair, qui comblera ces besoins, dans les grands secteurs d’activité, avec tant de nouveaux travailleurs, grâce à la somme de telles solutions ? Un trou, une cheville.

On entend en ce moment trop d’à peu près de la part des gouvernements. Comme il faudra permettre à plus de handicapés d’entrer sur le marché du travail, par exemple. Pardon ? On en est vraiment rendu là ? On nous convaincra bientôt qu’on obligera les prisonniers à travailler, chaînes aux chevilles, comme on le faisait jadis, et peut-être encore, dans le sud des États-Unis.

Et on croit peut-être qu’on inventera bientôt un robot pour aller torcher dans les CHSLD, où je deviendrai client éventuellement. Remarquez qu’un robot n’attraperait pas la COVID-19, un gain certain.

Ou que les restos se transformeront en cafétérias sans serveurs.

Et il y a ce sujet éminemment délicat qu’est l’immigration. Communément exprimé en seuils d’immigration. Au Québec, on veut contrôler cette immigration, je le comprends. Mais l’organisation d’admission des immigrants a l’air détraquée, et trop souvent sans cœur.

Et il y a ces autres humains, qui dirigent leurs commerces, leurs entreprises, qui créent de la richesse, pour lesquels on a créé un indescriptible parcours du combattant pour accueillir de nouveaux travailleurs. On sent un énorme découragement chez les commerçants et les entrepreneurs.

Qu’on ne se surprenne pas si ces derniers reluquent le Mexique pour s’y implanter. Des pertes nettes à l’horizon.

Enfin… s’il y a quelque chose que les Québécois méritent de tous les partis politiques, durant cette campagne électorale, c’est bien une vision élaborée du combien, quand et comment on solutionnera cette crise de main-d’œuvre.

Allez ! On se déguédine là là ? On est capables.

Entre nous

Pour la pizza, je me suis trouvé un nouveau pusher de toutes garnies.

Un immigrant kurde de la rue Racine, dans le quartier Loretteville à Québec, qui se défonce pour bien nous servir.

En plus de me satisfaire, j’ai l’impression d’être utile et de contribuer à l’intégration d’un humain qui le mérite.