On célèbre, ou exècre, cette semaine le 40anniversaire du rapatriement de la Constitution canadienne et l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés. Sans l’accord du Québec ? Oui, ce qui reste inacceptable. Un « coup de force » du gouvernement fédéral ? Tout à fait.

Mais on ajoute de plus en plus souvent « le gouvernement des juges » ? Pas vraiment. En tout cas, c’est un argument que le gouvernement Lévesque n’a pas utilisé à l’époque.

D’abord parce que, dans toutes les démocraties, on considère qu’un élément essentiel de l’État de droit est que les tribunaux doivent avoir un rôle pour surveiller l’exécutif et les législatures, surtout en matière de droits fondamentaux, que l’institution s’appelle Cour suprême, Conseil constitutionnel ou autre chose.

Mais surtout si René Lévesque et son gouvernement s’opposaient à la Charte fédérale, c’est parce qu’ils estimaient que la Charte québécoise des droits et libertés lui était supérieure. Entre autres, parce qu’il était bien plus facile de l’amender.

Une Charte qui, il faut le rappeler, avait été adoptée en 1975, donc bien avant la Charte canadienne. Ce qui montre quand même que le Québec n’avait pas de leçons à recevoir sur ce plan.

Ainsi, peu après l’arrivée du Parti québécois au pouvoir, M. Lévesque avait fait amender la Charte québécoise pour interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, le premier gouvernement à le faire en Amérique du Nord.

Mais cela dit, son opposition à ce que M. Lévesque appelait le « coup de force » du gouvernement Trudeau restait entière. Ainsi, durant les négociations constitutionnelles et avant la conférence de novembre qui devait avaliser le rapatriement, il avait publié une longue lettre ouverte dans La Presse (le 25 octobre 1980) qui expliquait toutes ses réticences et qui ne disait pas un mot sur le projet de Charte canadienne.

Après l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, le gouvernement Lévesque a continué à améliorer la Charte québécoise. En 1982, à la demande de Marc-André Bédard, son ministre de la Justice, pour y inclure des motifs de discrimination comme l’âge, la grossesse ou le handicap physique ou mental.

Mais surtout, il faisait en sorte que la Charte québécoise s’applique à toutes les lois du Québec, pas seulement celles qui avaient été adoptée avant elle.

M. Lévesque savait pertinemment que ce sont des juges de nomination fédérale qui seraient appelés à se prononcer sur l’application de la Charte aux lois québécoises. Il l’a fait quand même. Ce ne fut pas imposé par le gouvernement fédéral, ce fut fait volontairement par le gouvernement du Québec.

En fait, M. Lévesque croyait tellement à la supériorité de la Charte québécoise qu’il avait signé très solennellement un exemplaire de la Charte qui devait être distribué et affiché dans des institutions comme les écoles, les hôpitaux, etc. Il doit bien en rester quelques-unes sur les murs encore aujourd’hui.

René Lévesque avait quand même des réserves par rapport aux pouvoirs qu’on venait de donner à la Cour suprême du Canada sur des questions de compétence provinciale comme le droit civil, la propriété, la langue ou l’éducation. Mais s’il avait des objections sur ces questions de compétence provinciale, il ne se plaignait nullement des droits fondamentaux et libertés fondamentales qui y étaient énoncés.

De toute façon, qu’on parle de la Charte canadienne ou de la Charte québécoise, les droits fondamentaux et libertés fondamentales qui y sont protégés sont exactement les mêmes.

En fait, l’auteur de la Charte fédérale, l’ancien sous-ministre de la Justice Roger Tassé, disait dans ses mémoires qu’il avait eu deux modèles pour la Charte fédérale, soit la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU et la Charte québécoise.

C’est ainsi que le jugement de la Cour suprême sur l’affichage commercial – qui a conduit le gouvernement de Robert Bourassa à invoquer la disposition de dérogation (« clause nonobstant ») – a été rendu en fonction de la Charte québécoise. La décision aurait été similaire, si on l’avait rendue en fonction de la Charte canadienne.

Aujourd’hui, on parle trop facilement et indistinctement de « gouvernement des juges », de l’opposition au rapatriement de la Constitution en invoquant la mémoire de René Lévesque. C’est faire injure au respect qu’il a toujours eu pour les droits fondamentaux.

Quarante ans après l’entrée en vigueur de la Charte fédérale, il serait temps de reconnaître que, pour l’essentiel – et avec l’exception de l’éducation en anglais des Canadiens des autres provinces –, les deux chartes sont pratiquement identiques.

Il serait aussi temps pour le gouvernement du Québec de traiter la Charte québécoise avec un peu plus de respect. Ainsi, lors du passage de la loi 21, on a, pour la première fois, amendé la Charte sous le bâillon et autrement qu’à l’unanimité. Ce qui n’était ni nécessaire ni souhaitable.

Reste que les Québécois n’ont nulle raison de craindre les droits fondamentaux qui sont protégés par la Charte québécoise. Notre Charte.