À part le NPD, qui a appris à aimer les victoires morales, il n’y a pas de parti qui aime perdre. Depuis un demi-siècle, presque tous les chefs qui ont perdu une élection ont aussi perdu leur poste peu après.

Mais au Parti conservateur, la défaite s’accompagne presque toujours d’un coup de volant vers la droite. Et celui qui va suivre le congédiement d’Erin O’Toole risque d’être plus prononcé que de coutume.

Dans son dernier message à ses troupes avant d’être évincé, M. O’Toole avait averti ses députés qu’ils devaient éviter de se faire plaisir en devenant « un NPD de droite ». Mais à voir la course à la direction qui se dessine, c’est un risque que bien des conservateurs sont prêts à assumer.

Il ne faut pas s’en étonner, ça fait bien 40 ans que ça dure. En 1984, Brian Mulroney avait conquis le Parti conservateur en lui promettant le Québec. Après 15 ans de pouvoir libéral sans partage, il avait compris que les Québécois étaient prêts à essayer autre chose.

Mais la coalition qu’il avait formée entre conservateurs de l’Ouest et nationalistes du Québec ne devait pas survivre à son deuxième mandat. Et dans les décombres s’est établi le Parti réformiste. Un parti populiste, partisan de la loi et de l’ordre, de la peine capitale, de l’élimination des déficits et pour plus de place pour l’Ouest dans les affaires canadiennes.

Mais ce parti n’avait pas la force de s’établir dans l’ensemble du Canada, même s’il a changé son nom et a tout fait pour gagner des sièges en Ontario et plus à l’est.

Pendant ce temps, l’ancien Parti conservateur vivotait tant bien que mal et tout le monde a conclu que le salut pour tous passait par une fusion. Mais il y avait clairement un partenaire majeur et un partenaire mineur dans le nouveau Parti conservateur du Canada et Stephen Harper a été élu chef au premier tour de scrutin, indiquant bien le virage à droite.

Harper a été élu après une première défaite, surtout à cause du scandale des commandites qui était devenu le symbole d’un gouvernement libéral arrogant et usé.

Le gouvernement Harper a opéré un virage massif vers la droite en commençant avec toute une série de mesures pour la loi et l’ordre, comme des peines plus sévères pour les petites infractions comme pour les plus grandes.

Sous Harper, le Canada s’est retiré de l’Accord de Kyoto, a presque doublé sa production de pétrole des sables bitumineux et, en général, a baissé le niveau des contraintes environnementales. Il a aboli le programme de contestations judiciaires qui finançait les causes impliquant la Charte des droits, ainsi que le registre des armes à feu. Et il s’est retiré progressivement des subventions aux logements sociaux. La liste n’est pas exhaustive…

Battus après trois mandats sous Harper, les conservateurs ont choisi l’ancien président de la Chambre des communes, Andrew Scheer, qui a été élu grâce aux voix de la droite religieuse. Personnellement contre le mariage gai et le droit à l’avortement, il promettait cependant de ne pas légiférer sur ces questions. Mais son héritage est une droite religieuse qui a accru son influence au Parti conservateur.

Arrive Erin O’Toole, élu parce qu’il s’est présenté comme « un vrai bleu » et qui a été évincé parce qu’il a voulu amener le parti vers le centre en campagne électorale, avant de se révéler un chef faible et un peu girouette.

Il faudra voir combien l’héritage des derniers chefs conservateurs va peser lourd dans l’élection de leur prochain successeur. Mais il est certain que plusieurs conservateurs regardent ce qui se passe au sud de la frontière dans un Parti républicain toujours inféodé à Donald Trump.

Pour plusieurs conservateurs, après un troisième mandat dans l’opposition, il faut briser le cycle des défaites en s’inspirant d’une sorte de trumpisme à la canadienne. Un candidat qui serait un chef fort, peu porté sur la rectitude politique, et qui croit qu’on doit aller chercher les voix qui manquent encore plus à droite – en particulier dans la droite religieuse – plutôt qu’au centre.

Ce n’est pas pour rien que le nom qui est sur toutes les lèvres aux premiers instants de cette nouvelle course à la direction est celui du député de Nepean-Carleton, Pierre Poilievre. Un représentant de la droite décomplexée, qui ne déteste pas s’attaquer à ce qu’il estime être les vaches sacrées de la gauche, comme réduire le financement de CBC/Radio-Canada.

Mercredi, après la démission de son chef, le député de Portneuf–Jacques-Cartier, Joël Godin, disait qu’il se définissait toujours comme un « progressiste-conservateur ». Il risque d’être bien à l’étroit dans le parti qui émergera de la prochaine course à la direction. Et si c’est vrai pour lui, ce pourrait l’être aussi pour beaucoup d’électeurs québécois.