Le candidat à la mairie de Montréal Denis Coderre refuse encore et toujours de dévoiler ses revenus des quatre années depuis sa défaite de 2017. Voilà qui cause un véritable malaise pour les électeurs qui iront voter dans quelques jours.

On sait que M. Coderre avait un contrat de conseiller spécial pour la société Stingray, une entreprise de services musicaux et vidéo. La société refuse de dire quelles étaient les fonctions exactes de M. Coderre. Mais on sait que l’un des principaux dirigeants de Stingray, Eric Boyko, est du groupe de gens d’affaires qui veulent faire revenir le baseball majeur à Montréal et qu’il milite pour la construction d’un nouveau stade. Un dossier qui, bien évidemment, sollicitera l’attention du prochain maire de Montréal.

On sait aussi que M. Coderre a été nommé membre du conseil d’administration d’Eurostar, société qui exploite les trains qui empruntent le tunnel sous la Manche, par la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui en est l’un des principaux actionnaires.

On ne sait pas combien M. Coderre a été payé pour ses services – en fait, la Caisse a dit la chose et son contraire, soutenant au début qu’elle rémunérait l’ancien maire et, à sa démission, qu’il avait été payé par Eurostar. En fait, la fiction juridique importe peu, M. Coderre occupait un des sièges dévolus à la CPDQ au conseil d’administration d’Eurostar.

On ne peut pas empêcher quelqu’un de gagner sa vie et il n’y a rien d’illégal et pas formellement de conflit d’intérêts ici. Mais il y a ce qu’on appelle en France du « pantouflage ».

On offre à un haut fonctionnaire ou à un politicien qui quitte son poste un atterrissage en douceur, une « pantoufle », un poste le plus souvent mieux payé que le service public. Ça permet d’avoir accès aux contacts de la personne dans l’administration et de profiter de son expérience.

Pour les anciens politiciens, le pantouflage s’accompagne aussi – pas formellement, évidemment – de « considérations futures », comme on dit dans le monde du sport.

M. Coderre se réfugie derrière le code d’éthique des élus de Montréal qui prévoit que « les membres du conseil doivent, dans les 60 jours qui suivent la proclamation de leur élection, et annuellement par la suite, déposer devant le conseil une déclaration écrite mentionnant l’existence des intérêts pécuniaires détenus dans des immeubles, des personnes morales, des sociétés et des entreprises susceptibles d’avoir des contrats avec la Ville ».

À ce compte-là, M. Coderre n’aura rien à révéler du tout. Les sociétés Stingray et Eurostar ne sont pas très susceptibles d’avoir des contrats avec la Ville de Montréal et M. Coderre n’y a pas, à proprement parler, « des intérêts ».

Mais la réponse de M. Coderre reste fort troublante. Il dit que, le cas échéant, il se retirera tout simplement des discussions, comme il le faisait pour un ami concessionnaire automobile au cours de son mandat.

Sauf qu’il est bien difficile de penser que le maire de Montréal se retirerait simplement des discussions sur le retour des Expos et en particulier sur le site du bassin Peel, qui est l’objet des convoitises de nombreuses autres parties intéressées.

Encore plus sérieusement, comment peut-on penser que le maire de Montréal se retirerait de toute discussion impliquant la Caisse de dépôt et placement du Québec ? D’autant que l’on sait qu’elle est propriétaire de plusieurs des plus grands immeubles du centre-ville et d’autres propriétés un peu partout sur le territoire de la Ville.

Et il y a le dossier du REM. On sait que, comme maire, Denis Coderre avait pris fait et cause pour le premier projet du REM dans l’Ouest. C’est même lui qui avait fait fi très publiquement des objections du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en disant avant même d’avoir pu le lire : « le BAPE, c’est pas le pape ».

Il y a maintenant un autre projet, beaucoup plus controversé celui-là, de REM dans l’Est – essentiellement sur le territoire de la Ville de Montréal. Est-il possible de penser que le maire se retirerait de toutes les discussions et décisions dans ce dossier ? Bien sûr que non.

D’autant que, des réserves, M. Coderre – contrairement aux citoyens des quartiers concernés – ne semble pas en avoir beaucoup. Il a écrit dans son livre Retrouver Montréal qu’il fallait cesser d’envisager l’avenir du transport en commun en souterrain et en pneumatique. Bref, il approuve d’emblée la technologie retenue par le promoteur du REM, la Caisse de dépôt et placement.

Tout cela ne permet pas aux citoyens de s’assurer qu’il n’y aurait pas de renvois d’ascenseur envers ceux qui, de l’aveu même de M. Coderre à Tout le monde en parle, le rémunéraient pas mal mieux que dans la vie publique.

La transparence, c’est quelque chose qui doit venir avant les élections, pas après. Sinon, les citoyens seront en droit de se demander : Pour qui travaille Denis Coderre ? Ou, plus exactement : Pour qui travaillera Denis Coderre ?