Il aura fallu la mort de Joyce Echaquan pour obtenir une définition du « racisme systémique » qui soit acceptable au premier ministre François Legault : c’est celle du Petit Robert. Systémique, veut dire « relatif à un système dans son ensemble ». Et cela signifie, toujours selon le premier ministre, que cela part nécessairement d’en haut pour s’appliquer partout dans le système.

Cela signifie, toujours selon le premier ministre, qu’il faudrait qu’il y ait une directive ou un ordre direct de la part d’une personne en autorité enjoignant ses employés à exercer discrimination et racisme contre un groupe. Ce qui, bien évidemment, n’arrivera jamais.

Même dans ces États américains qui pratiquaient la ségrégation raciale, il n’y avait pas de directive formelle, et encore moins de loi, décrétant que les Noirs devaient s’asseoir au dernier rang de l’autobus ou passer des tests d’intelligence pour pouvoir voter. Le racisme systémique s’exerçait sous la forme d’un ensemble de pratiques qui faisaient en sorte que la discrimination était partout présente.

Il n’y avait pas de « système qui part d’en haut », comme le voudrait M. Legault. Mais il y avait un système, souvent très sophistiqué, pour établir et préserver la discrimination.

Dans les circonstances, la définition du Petit Robert est simple au point d’être simpliste. Même si elle est plus compliquée, on devrait plutôt utiliser celle de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui définit le racisme systémique comme « la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination ».

Le mot « inconscient » est important. Bien peu de gens se diront ouvertement racistes. Mais leurs attitudes peuvent certainement l’être.

C’est là que le rapport de la coroner Géhane Kamel, et sa recommandation que le gouvernement reconnaisse l’existence du racisme systémique, est important.

Elle décrit minutieusement et sans complaisance toutes les attitudes de nature raciste qui ont mené à la mort de Joyce Echaquan. Le rapport démontre qu’il y a, dans ce cas, un rapport de cause à effet.

Dès sa prise en charge à l’hôpital de Joliette, on fera à Mme Echaquan une série de diagnostics qui ne sont fondés que sur des préjugés et aucunement sur des observations cliniques. Ainsi, on croit qu’elle est en sevrage aux narcotiques au cannabis « sans qu’une réelle consommation précédant l’épisode puisse être démontrée ». Elle est donc rapidement – et faussement – « étiquetée comme narcodépendante ».

La coroner écrit que c’est « sur la base de ce préjugé » que ses appels à l’aide ne seront pas pris au sérieux. Pourtant, la preuve faite lors de l’enquête de la coroner montrera que Mme Echaquan ne consommait que des narcotiques prescrits et en quantité insuffisante pour produire une dépendance.

S’en suivra toute une série d’attitudes et de propos carrément racistes qui ne font qu’aggraver la situation. Pas étonnant que le rapport de la coroner en arrive à la conclusion qu’il « est clair que le racisme et les préjugés auxquels Mme Echaquan a fait face ont certainement été contributifs à son décès ».

Joyce Echaquan n’est pas tombée sur une mauvaise journée à l’hôpital de Joliette. Elle n’a pas été malchanceuse et ne s’est pas trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle a été victime d’un racisme et de préjugés qui ont fait en sorte que le système de santé a failli à la tâche.

Ce qui est aussi troublant dans le rapport de la coroner Kamel, c’est de constater que le système essaie de se protéger : par exemple, quand des préposées essaieront d’effacer la video qui a été diffusée sur Facebook, la chef de service leur dit de ne pas s’en inquiéter. On va les réconforter plutôt que de prendre le parti de la patiente.

Comme l’écrit la coroner, « lorsque le système se replie défensivement sur lui-même, c’est la définition même du racisme systémique ».

Ce qui est dommage dans tout cela, c’est que le premier ministre du Québec manque une belle occasion de rétablir le lien de confiance avec les communautés autochtones et de faire un geste de réconciliation. Il est prêt à dire que les pensionnats autochtones constituaient du racisme systémique, mais il refuse toujours de dire que cela puisse s’appliquer à la situation actuelle.

Dans les faits, M. Legault est prisonnier de son vocabulaire et la définition trop étroite du Petit Robert ne lui sera d’aucun secours dans un dossier qui demande justement un peu de largeur d’esprit.