C’est peut-être inévitable dans un gouvernement qui compte autant de ministres importants qui viennent du milieu des affaires, mais c’est confirmé par la manière dont il gère ses dossiers : ce premier ministre est transactionnel. Sa manière de régler les problèmes – tous les problèmes – c’est de faire une transaction. Faire un « deal ».

Les primes accordées aux infirmières sont le meilleur exemple de cela.

Les primes offertes aux infirmières pour les inciter à retourner dans des postes à temps plein peuvent sembler, à première vue, une bonne idée. C’est un effort financier réel du gouvernement à hauteur de 1 milliard de dollars.

Le problème, c’est que la transaction proposée ne va régler qu’une partie du problème à court terme et risque d’en créer d’autres, à long terme.

Le gouvernement aborde cette question comme une personne d’affaires qui essaie de faire une transaction. Qu’est-ce qu’on veut ? Combien ça va coûter ? Et va-t-on mettre assez d’argent sur la table pour que le « deal » fonctionne ?

Mais en même temps, le gouvernement reconnaît que le problème n’est pas de nature financière. Parce qu’il se situe sur le plan de la qualité de vie des infirmières qui n’en peuvent plus de leurs mauvaises conditions de travail, à commencer par le « temps supplémentaire obligatoire », invention québécoise que l’on ne retrouve nulle part ailleurs au Canada.

Pour avoir une qualité de vie plus normale, nombre d’infirmières ont quitté le réseau de la santé ou y travaillent à temps partiel. Le gouvernement croit qu’elles accepteront une prime moyenne de 15 000 $ pour retourner dans des postes à temps plein et retrouver ainsi les joies des heures supplémentaires obligatoires… du moins pour un temps.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« [Les primes accordées aux infirmières] ne serviront pas à grand-chose si on se retrouve avec des pénuries d’infirmières dans les résidences, à la santé publique ou dans les cliniques de médecine familiale », remarque notre chroniqueur.

On comprendra facilement que l’offre n’ait pas été reçue avec enthousiasme.

On notera au passage que les 15 000 $ en question sont complètement imposables et qu’une grande partie retournera donc directement dans les coffres de l’État.

Le gouvernement répète depuis quelques jours que les nouvelles conventions collectives négociées au printemps permettront de faire des améliorations aux conditions de travail qui seraient négociées au niveau local.

Mais les syndicats n’ont pas tort d’être un peu moins enthousiastes quand ils voient que les textes finaux des conventions ne leur ont pas encore été envoyés et qu’il est souvent arrivé par le passé qu’ils soient l’objet de désaccords entre les parties et de divergences profondes quant à l’interprétation des textes. Bref, la négociation sur le plan local n’est même pas proche de commencer.

Pour bien des infirmières, c’est un peu comme se faire demander de signer maintenant un contrat dont on ne verra les effets que plus tard. Et dans certains cas, beaucoup plus tard.

L’autre problème de l’offre du gouvernement, c’est qu’elle ne tient pas compte de l’effet que cela pourrait avoir ailleurs dans le système de santé.

La question que beaucoup se posent, dans le système de santé, c’est : pourquoi pas nous ? C’est une assez bonne question. Les techniciens en radiologie, les inhalothérapeutes et autres techniciens en santé ont aussi beaucoup donné durant la pandémie et ils se sentent oubliés.

À la période des questions, hier, le premier ministre disait que l’offre aux infirmières était une « solution exceptionnelle à un problème exceptionnel ».

C’est presque une invitation à certains groupes de travailleurs de la santé de devenir eux aussi des problèmes s’ils veulent l’attention du gouvernement.

Enfin, le gouvernement agit comme s’il pouvait faire fi des équilibres délicats qui existent dans le système de santé. Il y a des infirmières qui ne travaillent pas dans les hôpitaux, mais au privé ou dans d’autres institutions du réseau. Dans les résidences privées pour aînés, par exemple.

Ça ne servira pas à grand-chose si on se retrouve avec des pénuries d’infirmières dans les résidences, à la santé publique ou dans les cliniques de médecine familiale.

On risque surtout de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Comme on l’a déjà fait pour les préposés aux bénéficiaires après la crise dans les CHSLD.

Mais ce qui devrait vraiment inquiéter les infirmières, c’est ce qui se passe avec ce premier ministre transactionnel une fois qu’il a conclu son « deal ».

Le 5 août dernier, M. Legault a signé avec Justin Trudeau une entente de 6 milliards de dollars sur cinq ans sur les services de garde. Une entente sans condition, ce qui fait que le Québec était libre de dépenser ces sommes là où bon lui semble.

Six semaines plus tard, il recommandait aux Québécois de voter conservateur – au risque de perdre les 6 milliards – parce que les libéraux étaient « centralisateurs et dangereux pour le Québec ».

Les infirmières feraient bien d’être prudentes, il semblerait qu’il y a de ces « deals » qui changent beaucoup en six semaines…