C’est le genre de moment dont rêvent les stratèges des partis politiques. Un chef qui a le vent en poupe au moment du premier débat de la campagne et alors que ses principaux adversaires en arrachent. Pour le chef conservateur Erin O’Toole, qui est encore assez peu connu au Québec, le débat de ce soir ne pourrait survenir à un meilleur moment.

Surtout que les électeurs québécois voient bien que, dans les sondages, M. O’Toole est devenu un candidat sérieux au poste de premier ministre. Autant en profiter pour le connaître davantage et voir si, contrairement à son prédécesseur, Andrew Scheer, ils ne sont pas allergiques à certaines de ses positions. Ou à ses silences embarrassés sur certains sujets.

Sur ce plan, M. O’Toole a déjà réussi quelque chose d’important : un recentrage du Parti conservateur qui s’éloigne de l’héritage de Stephen Harper et qui se rapproche un peu de celui des progressistes-conservateurs. Et plus personne ne dira qu’il joue de l’ambiguïté sur des questions sociales comme l’avortement. Il est clairement pro-choix et, pour lui, c’est un dossier clos.

Mais il y a plus. Il représente aussi un conservatisme plus ouvert. Pour lui, par exemple, la place des gens qui ont des problèmes de dépendance n’est pas en prison, mais ils doivent recevoir des soins.

C’est ce qui fait que les libéraux n’ont toujours pas été capables de le diaboliser comme ils ont essayé de le faire avec tous les chefs conservateurs, que ce soit avec l’avortement ou l’universalité des soins de santé.

Ce soir, la mission de M. O’Toole est de montrer tout cela à des Québécois qui le connaissent encore assez peu. Mais ce ne sera pas assez. Joe Clark, l’un des prédécesseurs de M. O’Toole, l’avait bien compris quand il disait, à la fin de sa carrière politique, qu’il était bien plus facile de parler aux Québécois que d’apprendre à les écouter. C’est peut-être cette petite différence qui manque encore au chef conservateur.

Parce qu’il ne suffira pas de cocher toutes les bonnes cases sur la liste des « demandes traditionnelles du Québec ». Dire qu’on va respecter les compétences provinciales, c’est bien. Mais il ne faut pas que ce soit une façon de dire qu’Ottawa ne doit pas s’occuper de certaines choses, le vieux principe conservateur du small government, faire en sorte que le gouvernement en fasse le moins possible.

Le dossier des garderies est un bon exemple. Le gouvernement Trudeau veut mettre sur pied un programme national de garderies à 10 $ par jour. Au Québec, où un tel programme existe, cela signifie un transfert, sans condition, de 6 milliards de dollars.

M. O’Toole propose de donner un crédit d’impôt pour les frais de garde, ce qui n’est pas du tout pareil et, surtout, n’accorde aucune garantie de création de nouvelles places en garderie. Parce que le besoin, actuellement, c’est ça. Et, à la fin, les parents québécois sortiraient perdants si on adoptait la solution de M. O’Toole.

On pourrait aussi parler d’environnement, puisque le retour aux cibles de réduction des gaz à effet de serre de l’ère Harper n’est pas précisément ce qu’on pourrait appeler une valeur québécoise.

Et, s’il est intéressant d’assujettir les entreprises de compétence fédérale aux exigences de la loi 101, il ne faudrait quand même pas compter là-dessus pour faire une grande différence : après tout, il n’y a que 135 000 travailleurs – soit 3 % de la main-d’œuvre – qui ne sont couverts ni par la loi 101 ni par la Loi sur les langues officielles.

M. O’Toole ferait œuvre plus utile en affirmant haut et fort qu’il fera respecter la Loi sur les langues officielles au sein de l’appareil fédéral où, malgré tous les beaux discours des gouvernements, le français n’occupe plus du tout la place qui lui revient.

Cela dit, le chef conservateur arrivera au débat de ce soir avec quelques avantages en poche.

D’abord, son parti est vu comme étant le plus compétent en matière économique, alors qu’hier Statistique Canada annonçait que l’économie canadienne s’est contractée de 1,1 % au cours du dernier trimestre, ce qui prouve que la reprise économique soutenue par les dépenses publiques tant vantée par le premier ministre Justin Trudeau est plus fragile que prévue. Surtout le jour où il dévoile finalement une plateforme électorale qui prévoit trois fois plus de dépenses que de nouveaux revenus.

Cela dit, en toute justice, la plateforme conservatrice compte aussi sur une croissance économique robuste et la baisse du PIB au dernier trimestre n’est pas une bonne nouvelle pour Erin O'Toole non plus.

Mais son principal avantage, ce soir, sera que ses deux principaux adversaires sont dans une mauvaise passe. M. Trudeau dégringole dans les sondages partout sauf au Québec et les exercices de rhétorique d’Yves-François Blanchet ont moins d’effet.

Pour M. O’Toole, ce débat est un moment qui pourrait être déterminant. Pour ses chances au Québec, bien sûr, mais aussi parce que, quoi qu’on en pense, le reste du Canada regarde ce qui se passe au Québec et accorde de l’importance à la capacité d’un parti de former un gouvernement national.