Si ça continue, le premier ministre sortant Justin Trudeau va devoir passer un coup de fil au triple médaillé olympique Andre De Grasse pour avoir des conseils. Le sprinteur canadien est connu pour avoir des départs assez ordinaires, mais il compense par sa force en fin de course pour gagner. C’est ce que va devoir faire Justin Trudeau.

Le chef libéral aurait dû avoir l’avantage en cette première semaine. Il a choisi de déclencher une campagne électorale en plein été et alors que son gouvernement était toujours en position de faire adopter ses lois au Parlement. C’est aussi lui qui a déterminé la date des élections et donc la durée de la campagne électorale.

M. Trudeau a choisi que cette campagne soit un sprint en choisissant qu’elle ne dure que le nombre minimum de jours prévus à la loi électorale. Une campagne, de surcroît, avant la rentrée scolaire, alors que les électeurs ont bien plus la tête à profiter de la fin de l’été qu’à écouter des discours politiques.

C’est pour cela que la semaine qui commence est très importante. Ce sera la dernière semaine de campagne avant le premier des trois débats des chefs – qui prennent toujours beaucoup de temps de préparation et d’énergie. Ce sera aussi le meilleur moment pour dévoiler son programme électoral. De montrer aux Canadiens que, pour son troisième mandat, Justin Trudeau a encore de grandes idées à proposer.

Mais, jusqu’ici, ses grandes idées ne convaincront pas nécessairement beaucoup de monde. La meilleure reste le programme national de garderies, même si c’est, pour l’essentiel, un copier-coller du programme québécois et une promesse électorale qu’avait déjà faite Brian Mulroney dans les années 1980. L’idée fut reprise mais jamais réalisée par Jean Chrétien, la décennie suivante. Toujours sans résultat.

Mais si l’idée n’est pas nouvelle, cela reste la meilleure idée de ce début de campagne. Hors Québec, la garde d’enfants est devenue pour bien des ménages le principal poste budgétaire, devant le logement. La classe moyenne n’épargne plus pour que les enfants puissent aller à l’université, mais pour qu’on puisse les envoyer à la garderie… La nécessité justifie de retrouver cette vieille promesse au programme des libéraux.

M. Trudeau propose aussi de dépenser 9 milliards de dollars dans les résidences pour aînés, mais elles sont de compétence provinciale, et si le chèque sera bienvenu, le gouvernement fédéral n’a guère d’expertise en la matière, malgré l’intervention d’urgence des forces armées pendant la première vague de la crise de la COVID-19.

Quant aux dix jours de congé payés pour les employés du gouvernement fédéral, c’est l’idée que le NPD avait mise de l’avant au tout début de la pandémie et que le gouvernement Trudeau avait alors rejetée du revers de la main.

Mais puisqu’il est question de santé, il s’en trouvera pour demander ce qui est advenu de la grande idée des libéraux lors de la dernière campagne électorale : un régime national d’assurance médicaments. Voilà qui semble mort au champ d’honneur des grandes idées « n’ayant plus cours le lendemain », comme le chantait Brassens.

Pendant cette première semaine de campagne, les autres partis n’ont peut-être pas été très spectaculaires, mais ils ont fait le nécessaire. Les conservateurs ont lancé un programme très détaillé qui leur donne une crédibilité et une feuille de route pour le reste de la campagne, une recette qui avait très bien servi les libéraux de Jean Chrétien avec leur Livre rouge.

Bloquistes et néo-démocrates ont maintenant un chef plus aguerri et à leur deuxième campagne, une organisation beaucoup plus rodée et pas mal plus d’argent dans les coffres qu’il y a deux ans. Le NPD est particulièrement à suivre puisqu’il récolte beaucoup d’appuis chez les électeurs rebutés par des divisions internes du Parti vert, ce qui pourrait lui apporter plusieurs sièges supplémentaires.

Bref, le résultat de la première semaine est si peu spectaculaire pour le gouvernement sortant qu’on assiste à un resserrement des sondages et que l’objectif ultime d’obtenir une majorité de sièges semble plus difficile à réaliser que jamais pour les troupes libérales.

Mais rien n’est encore joué. On n’a pas encore trouvé la question centrale de cette campagne, celle qui sera le plus discutée dans les toujours importants débats des chefs et qui deviendra ce qu’on appelle souvent la question de l’isoloir, celle qui sera à l’esprit des électeurs quand ils se rendront voter.

Il importe donc pour Justin Trudeau et les libéraux d’imposer cette question de l’urne. Parce que, sinon, la question pourrait être « est-il vraiment nécessaire de donner une majorité aux libéraux ou êtes-vous finalement assez satisfaits d’un gouvernement minoritaire ? »

C’est pour cela que M. Trudeau devrait s’inspirer d’Andre De Grasse : un départ ordinaire ne veut pas dire qu’on a perdu la course, même quand c’est un sprint. Mais il faut savoir comment finir avec force.