Les libéraux ne publieront leur programme électoral que la semaine prochaine, mais ils savent déjà sur quelle question ils veulent faire tomber leur adversaire. C’est la politique du point de clivage – ou wedge issue, comme on dit aux États-Unis, où la méthode a été inventée.

Il s’agit de prendre un sujet pour en faire un point de discorde dans l’électorat de l’adversaire. Il y a deux ans, les libéraux avaient réussi à diviser l’électorat sur la question de l’avortement. Cette fois, ce sera la vaccination obligatoire.

En parlant d’avortement, lors de la dernière campagne électorale, les libéraux allaient directement au cœur d’un débat qui pouvait faire trébucher le chef conservateur Andrew Scheer, un catholique pratiquant qui s’oppose à l’avortement.

Il faut dire que M. Scheer ne s’est pas aidé en n’ayant jamais réussi à dire clairement que ses convictions personnelles ne se répercuteraient jamais dans ses politiques.

Deux ans plus tard, les libéraux veulent essayer le même truc. Cette fois avec la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux et des passagers des trains ou des avions.

Une politique annoncée vendredi dernier, deux jours avant le déclenchement des élections, ce qui ne peut pas être un hasard.

Les libéraux savent très bien que la question met le chef conservateur Erin O’Toole dans l’embarras. Au moins deux premiers ministres provinciaux – Doug Ford de l’Ontario et Jason Kenney de l’Alberta – s’opposent à la vaccination obligatoire de leurs fonctionnaires, ainsi qu’une large part de la base conservatrice.

Lors de sa première conférence de presse suivant le déclenchement des élections, M. O’Toole a évité de répondre clairement à la question qui lui avait été posée plusieurs fois pour finir par clarifier, en soirée, qu’il était contre la vaccination obligatoire, même s’il est lui-même vacciné.

Mais il arrive que la politique du point de clivage se retourne contre son auteur. C’est ce qui est peut-être en train de se passer avec Justin Trudeau.

D’abord parce que devenir le champion de la vaccination obligatoire de tous les employés de la fonction publique ne cadre pas nécessairement avec l’image que veut projeter M. Trudeau.

On ne peut pas être le champion de la Charte des droits et libertés et l’ami des travailleurs quand on sait que la vaccination obligatoire pose certains enjeux, tant en matière de libertés fondamentales qu'en droit du travail.

De même, si la vaccination obligatoire s’explique facilement pour ceux qui ont un contact avec le public, est-ce vraiment nécessaire pour celui qui travaille dans un bureau au Conseil du Trésor ?

Par ailleurs, la plupart des fonctions de l’État qui peuvent plus facilement justifier que tous les employés soient vaccinés – on pense tout de suite à la santé ou à l’éducation – sont de compétence provinciale.

Autre confusion : M. Trudeau a déclenché les élections en disant qu’il fallait donner une voix aux Canadiens sur l’après-COVID-19, sur le fameux « rebâtir, en mieux ». Mais le voici qui utilise – à des fins essentiellement stratégiques, mais tout de même – la situation sanitaire comme un point central de sa campagne.

M. Trudeau ne peut être en même temps « Capitaine COVID » et celui qui veut nous mener vers l’avenir. Le Parti libéral ne peut exprimer les deux messages en même temps et espérer se faire comprendre des électeurs.

Voilà pour une première semaine de campagne qui est loin d’avoir été un départ canon pour les troupes libérales. Et cela se reflète déjà dans certains sondages – pas tous – qui mettent libéraux et conservateurs au coude-à-coude. Il semble y avoir un certain effet boomerang d’un électorat qui est très favorable à la vaccination, mais qui n’aime pas qu’on utilise le sujet à des fins partisanes.

La seule consolation pour les libéraux serait que les conservateurs ont, eux aussi, connu une semaine assez ordinaire et qui se termine avec la question de l’avortement qui resurgit, ce qui ne peut que nuire davantage aux troupes d’Erin O’Toole.

Pendant ce temps, les deux autres partis sont en meilleure posture. Le Bloc québécois semble en voie de maintenir la plupart de ses sièges aux Communes. Quant au Nouveau Parti démocratique, il pourrait augmenter de façon importante son nombre de sièges si on en croit les agrégations de sondages effectuées par la CBC.

Conséquemment, après seulement une semaine de campagne, l’objectif d’obtenir un mandat majoritaire devient de plus en plus difficile à atteindre pour les libéraux. Ce qui était, après tout, le seul et unique enjeu de ces élections.