Les conférences de presse des chefs de parti au lancement d’une campagne électorale sont un peu comme les figures imposées au patinage artistique : c’est long, fastidieux, ça n’intéresse que les experts et ça finira sans doute par être abandonné un de ces jours.

Reste que, comme pour le patinage, cet exercice permet quand même de voir quelle est la condition et quel est l’enthousiasme des patineurs alors que s’amorce la véritable compétition, même si cela aura assez peu d’influence sur le classement final.

Justin Trudeau a eu une mauvaise journée. Comme c’est lui qui déclenche des élections alors que rien ne l’y oblige, il avait le fardeau de la preuve. Dire pourquoi il convoque les Canadiens aux urnes alors que son gouvernement n’est aucunement menacé, que le Parlement fonctionne et a adopté son budget et qu’on est, de surcroît, au début d’une quatrième vague de la pandémie de COVID-19.

M. Trudeau a parlé de moment historique où il était absolument nécessaire de consulter les Canadiens sur l’avenir qu’ils veulent et comment on devrait « reconstruire, en mieux ».

Mais on comprend mal pourquoi cette consultation des Canadiens est si nécessaire à ce moment-ci, alors que le gouvernement vient de lancer plusieurs initiatives, comme son programme national de garderies, pour lequel il signe déjà des ententes avec les provinces sans avoir cru bon de consulter qui que ce soit au préalable.

Bref, cette soudaine nécessité de consulter les Canadiens ne trompe personne. La réalité, c’est que M. Trudeau vise une chose, et une seule, avec cette courte campagne électorale de fin d’été : c’est d’obtenir un nouveau mandat majoritaire.

Dans les figures imposées du début de campagne que l’on a vues hier, celles du chef conservateur Erin O’Toole avaient de quoi rassurer le premier ministre sortant. Sur des questions claires et prévisibles portant sur le passeport vaccinal ou l’obligation d’être vacciné pour les fonctionnaires fédéraux et pour prendre le train ou l’avion, M. O’Toole a esquivé en répétant sept fois plutôt qu’une que les vaccins sont sécuritaires et que sa femme et lui sont vaccinés.

En fait, le chef conservateur n’a fait qu’exposer au grand jour les divisions internes de son parti sur cette question, même s’il ne sait que trop bien qu’il sera attaqué par les libéraux sur ce sujet. Rarement chef de parti a-t-il lancé sa campagne électorale en montrant aussi ouvertement sa vulnérabilité sur un sujet aussi important.

Par contre, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, s’est montré très assuré et en plein contrôle de son message. Il faudra le surveiller parce qu’il est actuellement en montée dans les sondages et qu’il pourrait enlever des voix aux libéraux, ce qui pourrait signifier non seulement plus de sièges pour le NPD, mais aussi pour les conservateurs.

Mais ce n’est pas le cas au Québec, où la campagne NPD semble vouloir se résumer à un film qui s’intitulerait Il faut sauver le soldat Boulerice.

Quant au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il a encore une fois fait étalage de son élégant sens de la formule, mais il est évident que son parti a des avantages par rapport à la dernière campagne, mais aussi quelques problèmes.

Le parti a une meilleure organisation et plus d’argent que celui qui sortait à peine d’une véritable opération de sauvetage en 2019. Par contre, il lui sera plus difficile de laisser entendre qu’il pourrait être la voix du gouvernement Legault à Ottawa, d’autant qu’un thème clivant comme la loi 21 a peu de chances d’être au centre des débats.

Mais cette première journée de campagne a bien montré que, pour Justin Trudeau, ces élections sont un pari et qu’il n’a rien d’assuré. Pour réaliser son objectif de devenir majoritaire, il faut 170 députés, soit 15 de plus qu’actuellement. Ce qui sera plus difficile qu’il n’y paraît.

L’histoire récente nous montre qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir un gouvernement majoritaire au Canada. Il y a beaucoup d’embûches sur « la route 170 ».

Dans les 20 dernières années du XXe siècle – en admettant que le siècle se terminait le 31 décembre 2000 ! –, le Canada a connu six gouvernements majoritaires d’affilée. Les deux hommes politiques qui ont dominé cette période, Brian Mulroney et Jean Chrétien, n’ont jamais eu à diriger un gouvernement minoritaire.

Par contre, dans les 20 premières années de notre siècle, le Canada aura eu six gouvernements, mais deux seulement ont été majoritaires. Les trois premiers ministres de notre époque – Paul Martin, Stephen Harper et Justin Trudeau – ont tous dû composer avec des gouvernements minoritaires.

La polarisation, la présence de nouveaux partis et l’émergence de blocs régionaux solides – comme l’Alberta et la Saskatchewan pour les conservateurs – font en sorte que la barre des 170 sièges est de plus en plus difficile à franchir. Et que le pari de Justin Trudeau reste bien risqué.