C'est souvent le non-verbal qui est le plus horrible quand Donald Trump parle. C'est beaucoup dire, vu la quantité de saletés qui peuvent sortir de sa bouche...

Hier, il était sur le tarmac en Floride, de retour de son club de golf avant de rentrer à Washington. Vous avez entendu ce qu'il a dit, vous l'avez lu. Mais l'avez-vous ressenti ? Avez-vous vu la mâchoire inférieure qui se crispe ? La hargne qui suintait aux commissures ?

Cette enquête « illégale » l'a totalement blanchi, a-t-il dit.

Ce n'est pas vrai, évidemment, il suffit de lire les quatre petites pages du résumé du rapport Mueller. Un résumé écrit par le procureur général qu'il a nommé, William Barr.

Que dit le rapport, d'après Barr ?

1) Il y a bel et bien eu un complot russe pour influencer le résultat de l'élection présidentielle américaine en 2016. C'est connu depuis longtemps, toutes les polices du pays l'ont documenté. Mais pas une seule fois Donald Trump n'a paru s'inquiéter de cette ingérence.

Cette opération a été menée par des agents russes (dont plusieurs font l'objet d'un mandat d'arrestation), membres d'une cellule bien précise. Leur but était de produire de la désinformation et - notez bien les mots - de « semer la discorde sociale ».

2) On n'a cependant aucune preuve de l'implication des membres de l'équipe Trump, encore moins de lui-même, dans ce complot avec « le gouvernement russe ».

3) Le procureur Mueller n'a pas pu conclure que Donald Trump a commis une entrave à la justice... mais il ne peut pas pour autant le disculper.

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En bon français, ce que cela veut dire, c'est qu'il y a de la preuve contre Trump, mais pas assez pour le faire accuser devant la cour criminelle.

N'oublions pas comment l'enquête Mueller a commencé : avec le congédiement par Trump du directeur du FBI, James Comey, au tout début du mandat du président. Le chef de la police fédérale n'était pas assez servile aux yeux de Trump.

Le numéro 2 du ministère de la Justice, Rod Rosenstein, décide alors de nommer un procureur indépendant, Robert Mueller. Pourquoi ? Parce qu'il est inconcevable que même des soupçons planent sur le président des États-Unis au sujet d'une possible intelligence au plus haut niveau avec une puissance ennemie.

Conclusion deux ans plus tard ? Oui, les Russes ont voulu influencer l'élection de 2016. Comme par hasard aux dépens des démocrates. Mais on ne peut pas prouver que l'équipe Trump était une complice active avec « le gouvernement russe »... même si elle en a bénéficié. Même si des membres de son équipe ont eu des contacts avec des agents russes.

Voilà l'étendue de l'innocence du président.

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Pensez-y un instant. Le procureur est incapable de disculper le président quant à une possible entrave à la justice. C'est donc dire qu'il y a de la preuve contre Donald Trump.

Cette entrave concerne uniquement l'enquête russe.

Il y a donc une sorte de paradoxe ici : d'un côté, aucune preuve de l'implication de Trump dans une collusion avec le gouvernement russe. Et en même temps, une possible tentative d'empêcher une enquête à ce sujet...

Pourquoi empêcher une enquête si on est innocent ? Autrement dit, une possible entrave à la justice est en soi un indice d'une forme de collusion.

Soyons attentifs aux mots. Il est question ici de collusion avec le gouvernement russe. Or, les contacts des membres de l'équipe Trump ont été avec des agents russes qui n'ont pas de poste officiel dans le gouvernement - ce qui est une manière habituelle de fonctionner des gens de renseignement et de contre-espionnage russe. Ils ont néanmoins agi, fait du piratage informatique et des opérations d'intox sur les réseaux sociaux, toutes favorables à Trump.

Si ça se trouve, Trump lui-même a cru à cette intox... Ne sous-estimons pas son innocence !

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Rappelons qu'on a devant nous uniquement un maigre résumé de quatre pages d'un rapport qui en compte 700.

Hier, Trump, tout en dénonçant les enquêteurs, se réjouissait de leurs conclusions.

Mais même s'il n'a commis aucun crime « prouvé », même si c'est par accident qu'il a bénéficié de l'effort russe, revenons-en à quelques faits incontournables : 

- il est le premier président des États-Unis à dénigrer et contredire ses services de renseignement systématiquement ;

- il ne s'est jamais indigné de l'intervention d'une puissance étrangère dans le processus électoral, même si tous ses experts en ont fourni la preuve ;

- lui, supposément l'homme de la loi et l'ordre, dénigre les meilleurs enquêteurs du FBI ;

- autour de lui, la liste est longue de tous les pourris condamnés pour avoir menti à la police, fraudé et comploté (Manafort, Flynn, Cohen, etc.). Bref, il s'est entouré d'une collection de crapules comme on n'en a pas vu depuis un siècle.

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Ce que ce rapport changera ? Pas grand-chose pour le moment. Trump peut dire qu'il est blanchi, et ce n'est pas entièrement faux. C'est une victoire, clairement. Il n'y aura aucune autre accusation criminelle.

En soi, c'est une sorte de preuve de l'impartialité de l'enquête Mueller, censée être une « chasse aux sorcières » et une arnaque. Une vraie enquête truquée aurait dû mener à une accusation contre le président, non ?

Mais il faut que les anti-Trump cessent de fantasmer sur une destitution. Il n'y aura pas d'impeachment, il n'y a aucun fondement juridique pour cela, et les démocrates se brûleraient s'ils s'y essayaient - sans même parler de la majorité républicaine au Sénat qui rendrait cela impossible.

Trump va donc terminer son mandat. Ce ne sera qu'une petite égratignure. Des conclusions semblables ne feront changer l'opinion de personne : ceux qui le soutiennent verront une totale disculpation, ceux qui le conspuent voudront lire plus qu'il n'y a.

L'inévitable publication du rapport minera juste un petit peu plus la réputation de ce président. Mais c'est en novembre 2020 que ça se jouera, dans les boîtes de scrutin, pas devant la cour, pas devant le Congrès.