Une semaine. C'est le temps qu'il a fallu pour que la première ministre de Nouvelle-Zélande annonce le bannissement immédiat des armes de style militaire et une série de mesures restrictives.

Une semaine. C'est le temps qu'il a fallu pour que la première ministre de Nouvelle-Zélande annonce le bannissement immédiat des armes de style militaire et une série de mesures restrictives.

Une semaine et 50 morts, c'est vrai.

Pendant ce temps au Canada ? Un projet de loi (C-71) pour resserrer le contrôle des armes est encore à l'étude au Sénat. Il n'interdira pas la vente de l'arme utilisée dans la tuerie de la grande mosquée de Québec, il y a deux ans. Ni de celle utilisée pour tuer trois policiers à Moncton, en 2014. Celle qui a tué Denis Blanchette et failli tuer Pauline Marois, elle, deviendra « prohibée ». Pourquoi elle et pas tant d'autres armes semi-automatiques de style militaire ? C'est une sorte de compromis...

Le projet de loi apporte tout de même certaines avancées. D'abord, les policiers pourront vérifier tous les antécédents criminels d'un demandeur de permis - actuellement, cette vérification est limitée à cinq ans. Et la définition des classes d'armes à feu - sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée - retournera entre les mains de la Gendarmerie royale du Canada. Les conservateurs, sous la pression des propriétaires, avaient accordé au Cabinet le pouvoir de réviser cette classification et annulé la désignation d'arme « prohibée » de deux armes semi-automatiques. Les conservateurs avaient également aboli l'obligation de vérifier la validité du permis de l'acheteur, obligation rétablie. Les vendeurs devront aussi garder la trace de toutes les ventes.

En principe, le Sénat devrait adopter C-71 ce printemps.

Mais même si c'est le cas, grosso modo, il sera toujours possible d'acheter au Canada des armes utilisées dans de multiples tueries de masse ici et aux États-Unis (Orlando, Parkland, etc.). Vous en voyez quelques exemples illustrés ici.

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J'allais dire « en vente libre », comme l'autre jour, mais un avocat amateur d'armes m'a sommé de me rétracter, car, en effet, il y a des conditions pour les acquérir. Ce n'est pas comme pour des gélules d'ibuprofène, mettons.

Il faut un permis, c'est vrai. Et dans le cas de celles classées « à autorisation restreinte », il faut être membre d'un club de tir ou collectionneur.

Mais il n'y a rien là de terriblement compliqué, quoi qu'en disent les amateurs d'armes. Personne n'a manqué un rendez-vous avec un orignal ou un pigeon d'argile parce que c'était dooooonc compliqué de remplir tous les horrrrribles papiers du gouvernement.

Rien d'infranchissable non plus pour un esprit dérangé ou meurtrier, comme on a tristement pu le voir trop souvent.

Comprenez aussi que dans la chinoiserie des règles de classification des armes à feu, les fabricants trouvent le moyen de faire tomber dans des classes inférieures des armes qui autrement seraient prohibées.

Ainsi, les chargeurs au Canada sont limités à une capacité de cinq projectiles pour les armes « non restreintes » et de dix pour les armes à autorisation restreinte.

En réalité, il est facile de modifier les chargeurs en retirant un petit bloqueur et d'y mettre jusqu'à 30 projectiles. Ou d'acheter en ligne un chargeur américain. C'est ce qu'avait fait le tueur de la grande mosquée de Québec et celui de l'attentat contre Pauline Marois. Heureusement, presque par miracle, dans les deux cas l'arme s'est enrayée.

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Alors je répète la question : qu'attend-on exactement pour prohiber TOUTES les armes qui ne sont pas destinées à la chasse ? Oui, toute une petite industrie du tir de loisir en pâtirait - sans parler de l'industrie des armes à feu.

Mais de un, on peut s'exercer au tir avec des armes de chasse. Et de deux, la survie d'un loisir n'est pas un objectif social en soi. La chasse à courre et les combats de coqs ont aussi eu leurs adeptes. Pour des motifs supérieurs d'intérêt général, on a tout à fait le droit et le devoir d'interdire certaines activités.

Contrairement aux États-Unis, où il existe un droit constitutionnel de posséder et de porter des armes, il n'y a rien de tel au Canada (même aux États-Unis, d'ailleurs, ce droit n'est pas aussi absolu qu'on le prétend). C'est un privilège, accordé depuis toujours avec plus ou moins de parcimonie.

Le contexte actuel justifie des mesures plus radicales. Les tueurs de masse qui se copient et s'inspirent les uns les autres partout dans le monde ; le terrorisme et diverses « internationales » du fanatisme violent, religieux, racial ou psychiatrique ; la recrudescence des morts par arme de poing à Toronto, notamment.

On ne règle pas tout par le contrôle des armes à feu. Mais on rend leur acquisition plus compliquée pour ceux qui ne devraient pas en avoir. C'est une évidence documentée et facilement observable.

L'Australie a fait ce que s'apprête à faire la Nouvelle-Zélande après un massacre en 1996. Non seulement il n'y a eu aucune autre tuerie de masse depuis, mais le taux d'homicides et de suicides par armes à feu a aussi chuté radicalement. Il y a des débats furieux entre chercheurs sur les causes réelles de cette diminution. Les deux années ayant suivi la nouvelle loi ont vu une augmentation, et des tendances à la baisse du nombre d'homicides sont observables dans plusieurs pays où les lois sur les armes n'ont pas changé.

Mais, comme par hasard, dans les 18 années ayant précédé l'adoption de la loi australienne, 100 personnes sont mortes dans ce pays à l'occasion de 13 « tueries » (le meurtre de 4 personnes ou plus). Depuis la loi, il n'y en a eu aucune.

Le gouvernement fédéral a entrepris une consultation censée aller plus loin que C-71 et éventuellement mener à l'interdiction totale des armes de poing et semi-automatiques.

Si c'est bon pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui avaient pourtant une tradition moins stricte, ce l'est pour nous aussi.

On n'a pas besoin d'attendre un prochain massacre : il y en a eu assez.