Ce n'est pas la première fois, et probablement pas la dernière non plus. Le Festival de jazz, Montréal en lumière et les FrancoFolies réclament plus d'aide pour protéger leur programmation gratuite.

En fait, ils ont deux demandes : freiner la perte d'espace au Quartier des spectacles pour leurs scènes, et obtenir de nouvelles sources de financement. Pour la première, ils ont tout à fait raison. Pour la seconde, le débat reste à faire.

Depuis 2007, la superficie disponible pour les spectacles extérieurs a presque baissé de moitié (38 % de l'espace perdu et 12 % de l'espace désormais restreint)*. Cela signifie qu'il manque de place pour les scènes et surtout pour l'entreposage du matériel. Le Quartier des spectacles porte ainsi de moins en moins bien son nom. Ce n'est pas dans l'intérêt des Montréalais, qui perdent des espaces pour les spectacles. Ni des festivals, qui sont lentement mis en enclos. Ni de la métropole, dont l'image de marque repose sur la culture.

Pour cela, la Ville de Montréal a une responsabilité. La mairesse Plante le comprend et y travaille déjà, d'ailleurs. De nouveaux espaces d'entreposage sont prévus dans l'îlot Clark. Selon nos informations, des ententes pourraient aussi être prises avec les promoteurs des futurs projets immobiliers comme celui qui poussera sur les ruines du Spectrum. Ce serait la moindre des choses.

La Ville doit empêcher son coeur de se transformer en tours de condos qui asphyxient l'offre culturelle tout en s'y associant dans leurs brochures.

Pour le financement, par contre, c'est plus compliqué.

Spectra, qui gère le Festival de jazz et les FrancoFolies, prévient que ses revenus recommencent à s'éroder. Au début des années 2000, c'était à cause de la fin des publicités de cigarette. Cette fois, c'est à cause de la baisse des ventes d'alcool et de nourriture. Les festivaliers les achètent de plus en plus à l'extérieur du site, dans les commerces environnants. Pour le Festival de jazz, il en résulte une baisse de revenus de 3 millions sur une décennie. Ces recettes finançaient auparavant 20 % du festival ; cette proportion n'est plus que de 4 %.

Alors, on fait quoi ? Les festivals n'ont pas de demande formelle.

Une des idées évoquées est de prélever une taxe auprès des restaurants du Quartier des spectacles. Il est vrai que pour ces établissements, le Festival de jazz constitue un second Noël. Reste que l'idée suscite un malaise. Ces restaurateurs fonctionnent la majorité du temps sans festival et la majorité de leur clientèle n'est pas composée de spectateurs. Pourquoi leur refiler une partie de la facture ? Surtout qu'ils payent déjà assez de taxes.

Une autre possibilité est de demander plus d'aide publique. Encore là, l'argument reste à faire. Montréal, Québec et Ottawa subventionnent déjà les festivals et on comprend pourquoi. Ils offrent une programmation extérieure gratuite qui n'est pas rentable. Mais faut-il en demander encore plus à l'État ?

La réponse classique est celle des retombées économiques : ce serait un investissement payant pour l'État. Or, la manne est moins grande qu'on le prétend. Les véritables retombées économiques se limitent aux touristes qui sont venus à Montréal uniquement pour les festivals et qui apportent donc un réel ajout d'argent dans l'économie**. À cet égard, le Festival de jazz est plus profitable que le Grand Prix de Formule 1. Sans oublier que l'argent reste au Québec au lieu d'engraisser le propriétaire de la Formule 1 qui abrite une partie de sa fortune dans les îles Caïmans...

L'aide actuelle aux festivals comme le Jazz se justifie donc autant en termes d'investissement que de soutien à la culture. Mais il y a des limites à la capacité de payer de l'État. Ses moyens sont limités et les besoins ailleurs sont immenses.

Quant à ces festivals, ils sont désormais affiliés à un géant. Ils relèvent de Spectra, achetée en 2013 par le Groupe CH, société milliardaire contrôlée par la famille Molson avec des participations entre autres de la Banque Nationale et de Bell. Si Spectra a été achetée, c'est parce que, dans l'ensemble, elle paraissait rentable. Les festivals soutiennent qu'ils fonctionnent selon une logique différente. Ils offrent des concerts extérieurs gratuits pour tous et ne sont pas à but lucratif. Ils rappellent aussi que les gouvernements ont accès à leurs livres comptables pour vérifier comment l'argent circule dans leurs entités.

C'est vrai, mais une question demeure : qui doit payer plus ? L'État ou leur société propriétaire ? Ou faudrait-il plutôt mettre davantage à contribution les festivaliers eux-mêmes ? Quitte à modifier l'équilibre entre la programmation intérieure payante et celle extérieure gratuite ?

Ces festivals sont précieux pour Montréal.

Tant mieux si on se préoccupe de leur viabilité et si on débat de leur avenir. Mais la preuve n'a pas encore été faite que l'État doit payer plus que ce qu'il paye déjà.

* Selon les besoins du Festival de jazz calculés par son promoteur Spectra.

** Voir à ce sujet le rapport des retombées économiques réalisé par KPMG pour le Regroupement des événements majeurs internationaux.