Si vous allez vous balader virtuellement sur le site d'Immigration Canada, vous trouverez, sous l'onglet «Célébrer la citoyenneté», toutes les informations nécessaires, jusque dans le menu détail, à l'organisation d'une «cérémonie de réaffirmation de citoyenneté». Même les paroles du Ô Canada et un guide d'aménagement de la salle...

Nulle part, toutefois, on ne dit que vous pouvez organiser une fausse cérémonie dans un studio de télévision en enrôlant des fonctionnaires d'Immigration Canada pour faire plus vrai.

C'est pourtant ce qu'a fait Sun News TV, en octobre, à Toronto, avec un juge de la citoyenneté et des faux immigrants, qui étaient en fait des fonctionnaires conscrits à la toute hâte pour la mise en scène, comme nous l'a appris La Presse Canadienne cette semaine.

Le ministre de l'Immigration Jason Kenney a dit qu'il n'était pas au courant, blâmant les bureaucrates qui ont participé à cette parodie. Quebecor, propriétaire de Sun News TV, n'a pas commenté l'affaire, mais les animateurs de cette mascarade ont dit ne pas avoir été mis au courant. En fait, ils pensaient même que c'était une cérémonie de prestation de serment de nouveaux immigrants, et non pas une réaffirmation... Bref, un joli fiasco plutôt embarrassant pour Sun News TV et pour le gouvernement Harper.

Pour des gens qui jouent la fibre patriotique à fond la caisse, ils ne semblent pas se soucier beaucoup de l'image des institutions. Ce genre de mise en scène patriotique ronflante, et franchement un peu cucu, fait penser aux glorieuses années de la propagande en URSS ou en Chine, où c'est encore monnaie courante.

La meilleure défense étant l'attaque, comme chacun sait, Sun News TV (une chaîne qui se présente comme le «Fox News du Nord» et dirigée par Kory Teneycke, ancien directeur des communications de Stephen Harper) a repris ses attaques contre sa cible de prédilection: CBC (dans ce cas-ci, Radio-Canada). Comme par hasard, le gouvernement conservateur est aussi parti en guerre contre la télé d'État. Une autre action concertée, comme la fausse cérémonie.

M. Harper reproche à Radio-Canada de diffuser de la pornographie sur Tou.tv, soit une série française intitulée Hard, qui raconte l'histoire d'une jeune veuve qui découvre que son mari exploitait non pas une entreprise de fret, comme il le lui avait toujours dit, mais plutôt une boîte de production de films pornos.

Quelle horreur! Des fesses à la télé d'État!

Selon les critiques, cette série, malgré son nom, est plutôt «soft», mais c'est trop pour le premier ministre, qui s'est dit «embarrassé» de voir Radio-Canada acheter une série au contenu sexuel explicite.

Le ministre du Patrimoine, James Moore, offusqué de constater que l'argent des contribuables sert à acheter des séries grossières, a même appelé la direction de Radio-Canada pour lui demander de revoir le contenu de son site afin d'éviter que cela ne se reproduise.

Radio-Canada a cédé à moitié, limitant la diffusion de Hard de minuit à quatre heures du matin. Bonjour l'ingérence politique.

Sun News, qui se démarque de plus en plus comme l'organe officiel du parti au pouvoir, n'allait pas rater une si belle occasion de taper sur Radio-Canada, au nom de la morale publique, bien sûr.

Le chroniqueur Brian Lilley se dit même sans voix devant une telle infamie. Pauvre homme, il lui en faut bien peu!

«Le Canada traîne une énorme dette, proche des 580 milliards, écrit-il, malgré son état de choc. Nous avons un déficit d'environ 30 milliards cette année; tous les ministères doivent faire des compressions et Radio-Canada paye pour importer de la pornographie de France.»

Je n'ai pas vu la série Hard, mais les quelques images que j'en ai vues sur l'internet me semblent 100 fois moins grossières que l'ingérence politique du gouvernement Harper et que la démagogie de Sun News TV.

Si le premier ministre et son ministre du Patrimoine se préoccupent tant du contenu de CBC/Radio-Canada, qu'ils nous disent ce qu'ils pensent de Don Cherry, qui, même habillé jusqu'aux oreilles dans ses vestons clownesques, reste ce qu'il y a de plus indécent sur les ondes de la télévision d'État.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca