Il y a une dizaine d'années, alors qu'elle travaillait comme sage-femme au Québec, Connie Smith a connu une sorte de révélation, le genre de moment de vérité qui peut faire basculer une vie.

Elle s'est retrouvée devant un couple qui attendait un enfant et qui cherchait des conseils sur une question angoissante: comment fallait-il procéder pour présenter le futur bébé au chien de la maison?

Connie Smith refuse de juger ces jeunes parents, elle n'a pas la moindre envie de décréter qu'il s'agit là d'un sujet de préoccupation futile. Mais ce jour-là, l'infirmière québécoise a compris que le Canada, ce n'était pas pour elle. Qu'elle ne pouvait pas vouer sa vie à résoudre ce genre de problèmes.  

Surtout quand il existe des pays où la grossesse et l'accouchement soulèvent des questions autrement plus dramatiques. Des pays comme la République démocratique du Congo, où la mortalité périnatale fracasse tous les records.

Il y a une énorme différence entre se demander si votre chien va aimer votre bébé et avoir peur de mourir en couches», résume Connie Smith, qui a fini par faire ses valises pour s'installer à Goma, une des villes les plus paumées du pays le moins développé de la planète.  

Située dans l'extrémité orientale du pays, à la frontière du Rwanda, Goma s'est retrouvée au coeur d'un des pires conflits du XXe siècle. Officiellement, ce chapitre sanglant a été clos en 2003, mais Goma a gardé le titre sinistre de capitale mondiale du viol. Et les femmes qui y accouchent portent des drames autrement plus douloureux que l'éventualité d'une première rencontre de leur enfant avec leur animal domestique.

Pourquoi le Congo? Et pourquoi Goma? Connie Smith avait déjà travaillé en RDC dans les années 80, alors que le pays s'appelait encore le Zaïre. Non seulement elle avait aimé ce pays, mais elle y avait aussi rencontré l'amour.

Lors de son premier séjour, comme infirmière missionnaire, Connie Smith avait croisé le pasteur Sylvain Paluku Kavunga.

Cinq autres enfants et quelques années plus tard, Sylvain Paluku Kavunga est soudainement devenu veuf. Il a repris contact avec Connie, au Québec, et le fil s'est renoué. Connie et Sylvain se sont mariés en 2005. Du jour au lendemain, l'enfant unique élevée à Lachute a hérité d'une famille de 10 enfants, âgés de 2 à 22 ans.  

Certains avaient déjà quitté la maison. Mais avec la belle-soeur, le neveu et quelques petits-enfants, Connie Smith s'est retrouvée du jour au lendemain au coeur d'une maisonnée de 14 personnes.

Cette famille est devenue sa famille. Et Goma est devenue sa ville, qu'elle n'a pas la moindre intention de quitter, quoi qu'il arrive.

Depuis les élections du26 novembre, la situation est très instable en RDC. Le président Joseph Kabila et son principal adversaire, Étienne Tshisekedi, affirment tous deux avoir remporté le scrutin, qui a été entaché par de nombreuses irrégularités. Tous les ingrédients sont là pour une explosion. Mais Connie et Sylvain ont convenu que même si le pire devait survenir, ils ne prendraient pas la fuite. Qu'ils partageraient le sort de leurs compatriotes, quel qu'il soit.

Grand écart

L'échelle du développement de l'ONU place la RDC au tout dernier rang de son classement. Même s'il n'est pas tout à fait le «meilleur pays du monde», le Canada figure parmi les premiers de la classe. N'est-ce pas un peu étourdissant de faire le grand écart entre la richesse, le confort et l'extrême pauvreté?

Connie Smith, qui travaille pour une organisation humanitaire internationale, reconnaît qu'il y a des jours où elle est découragée de voir ce pays s'enfoncer dans des problèmes sans fin. Des problèmes auxquels sa famille n'échappe pas, même si elle vit plutôt confortablement, comparativement aux normes locales. Les enfants dorment à quatre par chambre, mais ils ont une maison et mangent à leur faim.

Le pire, c'est l'insécurité omniprésente, qui force tout le monde à rentrer au bercail dès que l'obscurité s'étend sur la ville. On ne va jamais chez le dépanneur tout seul, non plus, par mesure de sécurité.

Malgré toutes les précautions, personne n'échappe tout à fait au danger. Une des filles adoptives de Connie Smith a été violée à l'âge de 19 ans par un copain qui la harcelait. Un bébé en est né. Une histoire malheureusement trop banale, à Goma. Tellement qu'elle le raconte presque sans émotion...

Comment Connie Smith fait-elle pour ne pas sombrer dans le découragement? En gardant ses yeux «plus haut que ça.» Et en se concentrant sur tout ce qui la ravit dans le monde où elle a choisi de vivre.

J'ai un travail qui me plaît, une famille fantastique, un homme que j'adore et je me sens utile», résume-t-elle.

Même si les enfants de Goma vivent une vie très dure, ils ont des qualités qui se font rares à Montréal ou Lachute. «Je n'ai jamais vu un enfant ici se plaindre parce qu'il s'ennuie; ils ont toujours quelque chose à faire.» L'ennui, c'est comme les animaux domestiques: c'est un luxe que tous ne peuvent pas se permettre...

Elle trouve aussi que les enfants congolais sont plus reconnaissants que les petits Nord-Américains. «Ils n'agissent pas comme si nous leur devions quelque chose.»

Il y a aussi les odeurs, la chaleur et les bruits de l'Afrique. Et par-dessus tout, le sentiment d'avoir trouvé, dans le monde, la place qui est la sienne.

J'ai pris ma décision. Parfois, c'est décourageant. Mais c'est ça, ma vie. J'apprécie ce qui est beau. Et je gère les difficultés.»