On dirait que le Grinch s'est installé à Montréal. Dites-moi que mercredi, ce n'est pas lui, ce héros du célèbre conte du Dr Seuss, Le grincheux qui voulait gâcher Noël, qui s'est organisé pour qu'on ait un peu de verglas? Et que ce n'est pas lui qui a convaincu les fonctionnaires du ministère des Transports (MTQ) de fermer de façon surprise le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine pendant quelques jours.

C'est sûr qu'il y est pour quelque chose. Ces gens-là n'auraient jamais fait ça tout seuls, n'est-ce pas? Pas leur genre...

Boucher la circulation alors que tout le monde est pressé d'aller travailler pour boucler les dossiers avant les vacances? Créer des embouteillages monstres alors qu'une très grande partie de la métropole court pour terminer les courses et la préparation du réveillon?

Seul le Grinch peut provoquer ce genre de chose.

Son esprit a dû prendre le contrôle du MTQ.

Évidemment, lorsqu'on regarde les photos des paralumes qui se sont effondrés sur l'autoroute Ville-Marie l'été dernier, ces monstrueux et improbables treillis de béton avachis sur la chaussée, on se dit qu'on n'a pas nécessairement envie de recevoir ça sur la tête. S'ils menacent de tomber là aussi - et on croit tout maintenant qu'on les a vus -, qu'on les enlève. Il est tout à fait prudent de vouloir éviter une catastrophe. Mais dites-moi qu'il y a réellement un inspecteur qui est arrivé, mardi, en courant au bureau et criant: «Tant pis pour Noël, ilfaut les enlever, maintenant maintenant, pas une minute de plus! Viiiiiiite!»  

Que s'est-il passé pour que soudainement le problème soit si criant?

Soit il y a des gens qui n'ont pas fait leur boulot préventif en lançant les avertissements nécessaires au cours de l'automne, ce qui est inexcusable puisqu'on s'inquiète de ponts et de paralumes depuis de longs mois. Ce n'est pas comme si ce n'était pas dans l'actualité.

Soit il y a des gens qui ont réagi trop fortement, trop soudainement, ce qui n'est pas exactement génial, étant donné les conséquences de leur alarmisme, trois jours avant Noël.

Soit il y a des gens qui n'ont pas su se faire aller suffisamment les méninges, après avoir parlé aux deux catégories mentionnées plus tôt, pour trouver des solutions efficaces au dégât créé par leurs collègues (catégories alarmistes et endormis au volant confondues).

Que se passe-t-il donc dans ce MTQ?

On aime bien blâmer le ministre, et c'est ainsi que notre démocratie parlementaire fonctionne. Mais ne trouvez-vous pas qu'il y a des répétitions dans les scénarios qui transcendent pas mal les élus?

Il y a dans le grand chaos qui est tombé sur la ville hier une part de responsabilité qui nous revient. On ne devrait pas être si nombreux à prendre la voiture pour venir travailler en ville et ensuite rentrer à la maison, c'est clair.

Mais cela n'excuse en rien la décision de fermer une des cinq traversées du fleuve, à l'avant-veille du réveillon, alors que les besoins en déplacements à l'intérieur de la métropole et vers l'extérieur sont particulièrement élevés, sans accompagner le tout de mesures plus qu'extraordinaires pour adoucir la catastrophe.

On peut, évidemment, se servir de cette crise pour réaliser à quel point notre modèle d'urbanisme est déficient. Une seule traversée en métro, la ligne jaune vers Longueuil, ce n'est pas suffisant. Une chance qu'il y a aussi deux lignes de train de banlieue. Mais on a besoin de plus. Des bateaux notamment (et ne me dites pas que c'est impossible à cause des glaces et de l'hiver, j'en ai vu à Stockholm!). Ça nous prend aussi plus de trains, légers, électriques... Ça prend aussi un pont Champlain renouvelé qui charrie non pas plus de voitures, mais plus de gens. Un téléphérique comme à New York ou à Portland? Qui prendrait des gens dans le Vieux-Port pour les amener à Longueuil? Pourquoi pas?

Je suis assise devant mon clavier à penser à tous ceux et celles qui avaient prévu utiliser ces heures précieuses pour préparer les festivités et j'angoisse pour eux. On peut se poser toutes les questions qu'on veut sur le sens perdu de Noël et jeter le blâme sur la désastreuse maladie du magasinage éhonté qui nous frappe en décembre, il reste que les derniers jours avant la fête sont toujours fous comme n'importe quel départ en vacances est toujours fou, consumérisme ou pas.

On va tous finir par s'en sortir parce que l'important, c'est d'être ensemble pour célébrer, n'est-ce pas, peu importe si on a réussi à faire ses courses à temps, peu importe si un pont bouché a gâché notre jeudi soir.

Mais rester coincé à pester pendant des heures ainsi, ce n'est pas un cadeau. Et comme le dirait sûrement le Grinch au MTQ: «Et encore, bravo!»