Journaliste à La Presse depuis 23 ans, Agnès Gruda se joint à notre équipe de chroniqueurs. Elle traitera principalement d'actualité internationale et du rôle que le Canada joue dans le monde, ainsi que de quelques autres sujets qui lui tiennent à coeur.

Le 12 janvier dernier, les représentants d'une vingtaine d'organismes de coopération internationale se sont réunis à Ottawa à la demande du ministre d'État à la Réforme démocratique, Steven Fletcher.

 

Sujet de la rencontre: la création d'un nouvel organisme canadien voué à la promotion de la démocratie dans le monde.

Le projet ne tombait pas du ciel. Le premier ministre Stephen Harper en avait parlé dans son discours du Trône, en 2008. Et un comité consultatif a mis de la chair autour de l'os dans un rapport qui a atterri sur le bureau du ministre Fletcher en novembre dernier.

Dans ce rapport, le futur organisme a déjà un nom: le Centre canadien pour l'avancement de la démocratie. L'organisme pourrait avoir des antennes dans plusieurs pays à la démocratie balbutiante, recommande le comité, qui propose un budget généreux pour la nouvelle créature: entre 30 et 70 millions de dollars par année.

En janvier, Steven Fletcher a donc voulu tester ce projet dans le milieu de la coopération internationale. Mais il ne pouvait choisir pire moment pour son test. Et pas seulement à cause du tremblement de terre qui a dévasté Haïti le jour même où il a fait sa présentation aux représentants d'une vingtaine d'ONG.

Quelques jours plus tôt, un séisme d'un tout autre genre avait plongé le centre Droits et Démocratie dans une crise qui n'a cessé de s'aggraver depuis, avec une série de démissions et de congédiements sur fond de changement forcé de cap idéologique.

Comme son nom l'indique, Droits et Démocratie s'occupe, entre autres choses, de soutenir les institutions démocratiques dans le monde.

«C'était pour le moins incongru de discuter de la création d'un nouvel organisme de promotion de la démocratie alors que, à l'autre bout de la pièce, un champion du domaine était en train de se faire museler», note Gerry Barr, président du Conseil canadien pour la coopération internationale - une coalition d'organismes d'aide internationale.

Selon Gerry Barr, le climat était bien trop «empoisonné», en ce mois de janvier, pour que le projet du ministre Fletcher fasse son bonhomme de chemin sans tenir compte de la tempête qui déferlait sur Droits et Démocratie.

Mais même avant que cette crise n'éclate au grand jour, le projet d'une nouvelle institution pro-démocratie générait beaucoup de questions et de spéculations. «On ne peut pas être contre la vertu, mais il y a déjà un organisme qui s'appelle Droits et Démocratie, pourquoi en créer un nouveau?» demande le dirigeant d'une ONG.

Pourquoi, en effet? Que veut au juste le gouvernement Harper? Garder deux organisations dont les mandats se recoupent en partie? Transformer Droits et Démocratie afin qu'il soutienne les institutions et les partis démocratiques sur la planète, en mettant de côté son volet «droits» ? Ou, carrément, mettre la clé sous la porte et repartir à neuf, avec une organisation plus conforme aux objectifs du gouvernement actuel?

Cette hypothèse ne paraît pas si farfelue quand on lit un article récent signé par David Matas, avocat de B'nai Brith que le gouvernement Harper a nommé, il y a peu, au conseil d'administration de Droits et Démocratie.

«Droits et Démocratie, dans sa forme actuelle, sert-elle quelque objectif que ce soit, outre le fait qu'elle gère des programmes qui pourraient être dispensés d'une myriade d'autres manières?» y demandait-il, remettant en question l'existence même de l'organisme qu'il administre aujourd'hui.

Y a-t-il un lien entre la crise à Droits et Démocratie et le projet de nouveau centre pro-démocratie? Pas sûr, mais pas impossible, croit Gerry Barr.

Dans les coulisses de la coopération internationale, il n'y a pas d'unanimité sur le sujet. Mais de nombreuses voix s'inquiètent: le gouvernement est-il en train de mettre de côté un organisme indépendant, potentiellement critique, pour faire place à une institution calquée sur le modèle d'organismes américains, tels le National Democratic Institute et le National Endowment for Democracy, qui ont leurs mérites, mais dont l'action n'est pas à l'abri des critiques?

Chose certaine, au moment où la crise de Droits et Démocratie rebondit à Ottawa, le projet, peu connu, de nouveau centre pro-démocratie jette un éclairage intéressant sur tout ce dossier.