Par un bel après-midi de la mi-août, mon chat Bécaud, dans le parc, fait miaou.

Il se promène en roi Lion. Les arbres, les fleurs, les bancs, les glissoires et même les poubelles sont à lui. C'est son territoire, son royaume. Et pour retrouver son palais, il n'a qu'à traverser la rue. C'est d'ailleurs ce qu'il fait, car il a faim. Le problème, c'est que, même s'il est le roi, il n'a pas d'escorte policière pour arrêter le trafic.

Chaque fois, il doit éviter les dangers de la jungle. Ces éléphants et ces hippopotames en tôle qui foncent à toute vitesse. Normalement, il se glisse entre deux monstres, et le tour est joué. Pas aujourd'hui. On entend un gros bruit de freins. Non! Mon chat s'est fait botter. Une auto l'a heurté. Bécaud revole dans les airs. Puis, tout en nerfs, il va se cacher au fond du parc. Dans les buissons. La patte arrière gauche en sang, le bassin ouvert. Il ne bouge plus. Il attend... la fin.

 

Le conducteur poursuit sa route. C'est juste un chat. Heureusement, une piétonne a tout vu et, au lieu de s'en foutre, elle s'en inquiète. Elle part à la recherche de Bécaud. Elle sait qu'il a fui dans le parc, mais où? Elle fait le tour des arbres et des bosquets. Elle l'appelle: Kitty! Kitty! Kitty! Rien.

Au moment où elle décide de continuer son chemin, un autre chat arrive. La regarde. Et l'amène où se terre Bécaud. Comme dans les films de Walt Disney!

Mon chat est au fond d'une haie, gisant dans son sang. La bonne dame s'approche de lui à quatre pattes, regarde la médaille à son cou et lit son adresse. C'est juste en face. Elle le prend dans ses bras, traverse le parc puis sonne à notre porte. Ma blonde répond.

«Oui?

- Est-ce que ça être votre chat?»

La dame a un fort accent, des pays de l'Est, peut-être. Elle a encore quelques feuilles de la haie dans les cheveux, et son pantalon est plein de terre. Autour d'elle, il y a de grosses boules de poil dans les airs. Bécaud est en réaction, et son poil s'envole. Marie-Pier ne comprend pas trop ce qui se passe. Bécaud aurait-il attaqué l'inconnue?

«Votre chat frappé par un auto. Blessé. Je suis allée dans le parc le chercher.»

La bonne Samaritaine raconte l'aventure. Marie-Pier est en état de choc. Elle voit la grande plaie dans les flancs de Bécaud. Elle remercie la dame puis va chercher le panier pour emmener Bécaud chez le vétérinaire.

Je la rejoins là-bas. Le pronostic n'est pas jojo. Il a une fracture du bassin. Une auto, ça fesse. Il risque d'avoir des complications internes. Souvent, sur le coup, le chat parvient à survivre, mais la fatalité le rattrape et, la poussée d'adrénaline passée, il s'éteint.

On est atterrés. C'est juste un chat, mais c'est notre chat. On l'aime. Ce qui nous rassure, c'est que l'Hôpital vétérinaire Rive-Sud semble mieux organisé que tous les CHUM présents et à bâtir. On s'occupe de Bécaud avec plus de soin et d'humanité que dans bien des hôpitaux pour humains.

Il va être en observation toute la nuit. Demain, on pourra mieux prédire s'il s'en tirera ou pas.

On rentre à la maison, tristes. Pas de Bécaud pour nous accueillir. Pas de Bécaud ronronnant sur nos pieds avant de nous endormir.

Le lendemain, bonne nouvelle. Notre chat n'aura pas besoin d'opération. Mais la réadaptation sera longue. D'abord une semaine à l'hôpital, question de bien changer ses pansements. Puis six semaines à la maison, enfermé dans une cage, pour éviter qu'il ne saute partout et se blesse encore plus. Il porte un grand collet à la reine Victoria autour du cou. On dirait un extraterrestre, le chat de la famille Jetson.

Il est tout maigre, le regard hagard. On se dit qu'il n'en reviendra jamais. Qu'il va rester un chat bumpé pour le restant de sa vie. Pas grave. On va l'aimer quand même.

Mais le temps est à la fois le plus grand tueur et le plus grand guérisseur. Vendredi dernier, c'était le grand jour, Bécaud n'était plus en convalescence. Bécaud n'était plus oiseau. Il pouvait sortir de sa cage. Il pouvait redevenir un chat. Et il l'a fait. Il a retrouvé son palais. Il marche un peu sur la pointe des pattes - tel maître, tel chat -, mais ça ne l'empêche pas d'aller partout. Et de sauter sur les tables et les armoires. Comme avant.

Ce matin, il est venu s'allonger sur mon thorax. Et je l'ai flatté longtemps pendant que son petit moteur tournait. On était heureux tous les deux. Et je me suis dit que, si je dois rendre grâce à quelqu'un, aujourd'hui, c'est à l'inconnue qui a sauvé mon chat. Elle aurait pu, comme le chauffeur, ne pas s'en occuper. Aller faire ses courses comme tous les gens pressés auraient fait. Mais elle aime les chats. Alors elle a eu le réflexe des gens qui aiment: aider.

Sans elle, à la fin de la soirée, on aurait fini par réaliser la disparition de Bécaud, on l'aurait cherché en vain et on ne l'aurait plus jamais revu. Un chat qui souffre ne se montre pas. Il s'en va au paradis.

Je rends grâce à l'inconnue. Grâce aux gens qui ont encore le temps de sauver les chats, les oiseaux et les humains.

Bonne Action de grâce, tout le monde!

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