Nous cherchons des recettes. Ce n'est ni surprise ni nouveauté - ce n'est pas une découverte (il faudrait être infiniment prétentieux pour prétendre avoir découvert cette évidence). Et encore moins une suggestion (il faudrait être infiniment naïf pour suggérer cette vérité depuis longtemps acquise). Mais nous avons beau être lucides, être bien au courant de cette quête infinie et de cette recherche perpétuelle, et surtout de son inévitable issue (les recettes n'existent pas), nous poursuivons, nous persistons. C'est le propre de l'homme, le haut fait du coeur humain: on ne lâche pas la patate.

Les politiciens cherchent des recettes. N'importe quelle recette, pourvu qu'elle soit douce au palais d'une certaine majorité, pourvu qu'elle allèche les frigides d'hier.

Sarah Palin est un ingrédient de choix. Comme le Cheez Whiz ou la sauce HP. Grossier, limite vulgaire, absolument pas subtil, mais indéniablement goûteux. De quoi jazzer un céleri ou une côtelette de porc archicuite. Je soupçonne aussi le conservateur canadien moyen d'avoir un fort penchant pour la salsa et les chips aux assaisonnements douteux.

L'être autrement partial et d'aussi mauvaise foi que moi argumentera ici que le québecsolidairois moyen ou le Jacklaytoniste commun s'alimente à la source épicée et exotique des marchés orientaux et privilégie, par goût ou par snobisme, selon le point de vue, le plat au nom imprononçable. Et que s'il avale une poutine, c'est à condition qu'elle soit noyée sous un substantiel lobe de foie gras.

Au bout du compte, nous avons tort tous les deux. Parce que nous sommes partiaux et parce qu'on ne peut plus généraliser, en 2008, sans faire se lever des hordes d'exceptions. Hordes échevelées et salvatrices qui sont tout ce qui nous sépare de l'angoissante uniformité que voudraient nous imposer certains personnages inquiétants.

Reste que je vois des chercheurs de recettes partout. Plus de 5000 ans d'histoire documentée et nous essayons encore de trouver des solutions claires, des formules immuables. Le rêve de la pierre philosophale a été depuis longtemps relégué au rang de légende, mais il séduit encore. Plus personne n'oserait le pratiquer ouvertement mais, métaphoriquement, il reste au centre de nos petites vies personnelles, et de la grande vie sociale qui nous entoure. Changer du plomb en or. Changer des excréments en dollars. Changer de la solitude en plénitude.

Je ne connais rien de l'économie, du génie civil, des mathématiques et de la mécanique quantique. Je n'en sais qu'une chose: ce sont, du moins pour les trois dernières, des sciences relativement exactes. On peut avoir une note parfaite en mathématiques. Il existe, dans certaines matières, d'impeccables formules. Mais je connais assez bien la cuisine. Je sais un chose: aucune recette n'est parfaite - elles peuvent toutes s'améliorer, elles peuvent toutes être ratées. Les meilleurs chefs savent que rien n'est acquis et que tout est à découvrir.

De l'amour, je connais ce que tout le monde sait: pas de recette, l'idée vague que certains ingrédients sont essentiels et la curiosité du chercheur fervent. Je reste persuadée - peut-être bien naïvement (je n'en suis pas à une naïveté près) - que la plupart des gens ont tendance à conceptualiser les réalités abstraites de la vie à l'aide de leurs expériences concrètes. Les croyants n'en demandent pas autant: pour eux il suffit de croire. En ce sens, les fervents convaincus et les amoureux sont comme eux: ils ont la foi.

Je ne saurais prétendre parler pour les croyants ou ceux qu'une certaine politique a convaincus au-delà de tout doute. Mais des amoureux, je dirais ceci: que le seul ingrédient commun à toutes nos recettes intimes est la foi, et qu'elle suffit amplement.

1 Je ne crois pas vraiment à l'idée d'aphrodisiaques en matière de cuisine. Toute bonne cuisine l'est. Un excellent chef m'a un jour parlé d'anaphrodisiaques. Des ingrédients qui auraient le triste pouvoir de refroidir nos ardeurs. En tête de liste: la laitue. Alors messieurs d'Outremont qui voyez chaque midi vos femmes picosser des salades à une terrasse, avenue Bernard, mes condoléances.

2 Mathilde promenait depuis toujours sa liste d'épicerie avec elle. Grand, brun, l'oeil clair et le port altier, riche, mais pas trop, dynamique tout en aimant le cocooning, un peu poète, mais terre à terre, un bon sens de l'humour, mais quand même sérieux. Elle a eu un coup de foudre, l'an dernier, pour une petite blonde qui fait de la boxe et travaille en garderie.

3 De tous les ingrédients qu'on ajoute aveuglément, le coeur rempli d'espoir, au grand chaudron de nos amours à venir, le seul qui ne trahit jamais est sans doute la surprise. On ne peut pas prévoir. Il n'y a qu'une constante à la recette: on ne la connaît jamais d'avance.