En 2004, la candidate du NPD dans Ottawa-Sud était une femme voilée - Monia Mazig, la femme de Maher Arar. Cette année, le NPD présente, dans Bourassa, une autre femme qui porte le foulard islamique, Samira Laouni. Personne, apparemment, n'y a trouvé à redire, même si nombreux sont ceux pour qui le voile est un signe d'oppression - en tout cas une coutume qui reflète une conception intégriste de l'Islam.

Pourquoi alors tout ce tollé autour de Nicole Charbonneau Barron, la candidate conservatrice dans Saint-Bruno-Saint-Hubert, qui est membre de l'Opus Dei? Mme Laouni, elle, est chargée de projets au Conseil islamique canadien, une organisation qui ne croit pas à la liberté d'expression (le CIC a traîné le magazine MacLean's en cour pour un article critique sur l'islam). On n'a pas entendu le Bloc protester contre cette candidature-là. Une catholique intégriste serait-elle plus «dangereuse» qu'une musulmane intégriste?

Je n'ai aucune sympathie pour l'Opus Dei, pas plus que pour les dévots musulmans. Mais la religion est une affaire personnelle. Si Mme Laouni en rajoute sur ce qu'a dit le Prophète, c'est son droit. Si Mme Charbonneau Barron est plus catholique que le pape, c'est aussi son droit.

Cette affaire était du pain béni pour le Bloc, dont toute la stratégie consiste à faire peur au monde. Ha ha! La candidature d'un membre d'Opus Dei était donc le signe que Stephen Harper, une fois à la tête d'un gouvernement majoritaire, ramènerait l'époque des aiguilles à tricoter! Cela s'inscrit dans ce que l'ancien ministre péquiste Jacques Brassard appelle la «jactance outrancière» du Bloc.

Outrancière, c'est le moins qu'on puisse dire! Il faut être vraiment à court d'arguments pour comparer, comme le fait l'opposition libéralo-bloquiste, Harper à Bush ou à «pire que Bush» (dixit Dion), pour qualifier, comme le font les artistes les plus surexcités, les coupures dans quelques programmes de promotion de «génocide culturel» (dixit la comédienne Diane Jules), ou pour prétendre, comme le fait le Bloc, que les politiques de centre-droit du gouvernement conservateur vont contre «les valeurs québécoises» (comme si les Québécois avaient tous les mêmes valeurs!).

Ce n'est pas qu'il faille donner le bon Dieu sans confession à Stephen Harper.

Son parti, on le sait, a son lot de «conservateurs sociaux», tout comme le NPD compte son lot d'illuminés.

Le gouvernement Harper a lancé un très mauvais signal en laissant l'un de ses députés d'arrière-ban présenter un projet de loi reconnaissant la personnalité juridique du foetus. Cela ressemblait à un premier pas vers la criminalisation de l'avortement. Il faut dire que même les libéraux avaient vu passer le train sans réagir, et que le Bloc, pourtant si prompt à grimper dans les rideaux, n'avait protesté qu'assez mollement. Seule l'intervention vigoureuse du président de la Fédération des médecins spécialistes a renversé la vapeur.

Si jamais ce gouvernement devenait majoritaire, il serait très certainement sujet à de fortes pressions de la part de son aile droite. Mais attention, s'il devenait majoritaire, cela voudrait dire qu'il aurait considérablement élargi sa base et qu'il aurait davantage de députés québécois et ontariens, donc une aile modérée plus importante, à l'image de celle qui avait permis à Brian Mulroney de faire échec à ses députés de droite dans le dossier de l'avortement.

Autrement dit, l'argument de la peur peut être retourné à l'envers: un gouvernement conservateur majoritaire serait plus en mesure de résister à la droite «sociale» (qui est, quoiqu'on en dise, minoritaire partout, même au PC).

Au Canada comme dans beaucoup d'autres pays démocratiques, aucun parti ne peut rallier une majorité en se cantonnant dans les extrêmes. Plus un parti grossit et s'étend, plus il évolue vers le centre, le désir de prendre et de garder le pouvoir agissant comme un puissant ferment de modération. Seules les formations marginales cultivent des positions extrémistes. Plus il se rapproche du territoire majoritaire, plus le PC se différencie de l'ancien «Reform». Il est d'ailleurs très significatif que les deux juges que M. Harper a nommés à la Cour suprême sont des modérés.

On peut certes souhaiter que le PC reste minoritaire, pour toutes sortes de motifs, pour son ineptie sur la scène internationale ou pour des raisons d'ordre économique. Mais ce n'est pas une raison pour dresser des épouvantails.