La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, est une émotive. J'ai passé une heure dans son bureau de Montréal, jeudi. Une pièce magnifique aux fenêtres panoramiques offrant une vue époustouflante sur le fleuve.

L'entrevue se déroulait calmement. Mme Courchesne causait réforme, compétences transversales, sondages, drogue, violence.

L'entrevue a dérapé lorsque la question des subventions à l'école privée est arrivée comme une bombe. «Il faut revaloriser l'école publique», a affirmé Mme Courchesne.

Des mots creux qui ne veulent rien dire. Valoriser, je veux bien, mais comment? Combien de ministres ont «valorisé» l'école publique à coups de projets «tellement formidables» ? Résultat? Nul. La saignée se poursuit. Les parents fuient l'école secondaire publique et refusent d'y envoyer leur ado.

Les chiffres sont renversants. Dans certaines régions du Québec, un élève sur trois fréquente une école secondaire privée. Un sur trois, c'est énorme. Ce sont souvent les élèves doués qui se dirigent vers le privé. Le public, lui, se retrouve avec les cas lourds. Le privé s'en lave les mains. Le gouvernement aussi, même s'il prétend le contraire.

Les chiffres enflent, explosent. En 1975, à peine un élève sur dix fréquentait une école secondaire privée. Aujourd'hui, c'est un sur trois. À quand un sur deux?

Sans oublier les écoles publiques à vocation particulière, qui drainent environ 20% des élèves. L'école ordinaire est à bout de souffle, lourdement pénalisée par ce double écrémage.

«Valoriser», répétait Mme Courchesne. Facile à dire. Le gouvernement tire allègrement sur l'école publique en subventionnant le privé à 60%.

«Avez-vous envoyé vos enfants à l'école publique?» ai-je demandé à la ministre.

Non, a-t-elle répondu.

Tiens, tiens.

Mme Courchesne a deux garçons. Aujourd'hui, ils ont 22 et 24 ans. Ils ont fréquenté une école privée au secondaire. Le plus vieux a toutefois fait ses deux dernières années dans une école publique à vocation particulière qui offrait un programme sport-études.

«Ils sont allés au privé parce qu'ils étaient pensionnaires et que j'étais sous-ministre. Je n'avais pas les moyens d'avoir une nounou qui coûtait une fortune, alors faites attention!» a-t-elle lancé d'une voix aiguë.

Puis elle a enchaîné sur l'école Jeanne-Mance, située dans le Plateau-Mont-Royal. Elle en a fait une description apocalyptique. «Une des écoles les plus difficiles de Montréal», a-t-elle souligné.

- Le Plateau a changé, la population s'est embourgeoisée. Les parents boudent Jeanne-Mance, a expliqué la ministre.

- Ont-ils tort?

- Quand tu vois des graffitis et de la drogue au coin de la rue, c'est sûr que ça fait peur aux parents. Pourtant, dans cette école, il y a un projet fantastique. Un prof de judo fait des miracles avec des jeunes très rock'n'roll.

- Vous enverriez votre garçon à Jeanne-Mance? lui ai-je demandé.

Mme Courchesne n'a pas répondu.

Les parents doivent faire confiance au public, a-t-elle insisté. Des mots. Elle est la première à lui tourner le dos.

Que fait-on des généreuses subventions au privé qui vampirisent l'école publique? On continue et on se met joyeusement la tête dans le sable?

La ministre reconnaît que la crise de confiance envers le public existe, mais il est hors de question de couper les vivres au privé.

«Pensez-vous vraiment que le gouvernement va se lever un matin et dire c'est fini? a affirmé la ministre en roulant des yeux.

- C'est un tabou?

- Énorme.

- Pourquoi? Parce que les ministres et les députés envoient leurs enfants au privé?

- Si on ne subventionnait pas le privé à 60%, on enlèverait cette capacité aux familles québécoises de choisir librement», a-t-elle tranché.

La discussion s'est ensuite égarée sur le rôle des commissions scolaires dans la «valorisation» de l'école publique. La ministre s'est énervée et a monté le ton. Elle a de nouveau justifié le choix de l'école privée pour ses enfants. Lorsque le chapitre privé-public a été clos, elle avait les larmes aux yeux.

Émotive.

«J'suis pas fâchée, j'suis pas fâchée, a-t-elle protesté. Je parle avec fougue et passion.»

La ministre a la mèche courte. En août, elle a débarqué dans le bureau d'une journaliste à la tribune de La Presse, à Québec, pour l'engueuler sur le choix d'un mot dans un article. Elle la montrait du doigt et parlait fort. Du jamais vu.

Les journalistes de la tribune ont envoyé une lettre officielle au bureau du premier ministre Jean Charest pour se plaindre de Mme Courchesne. Intimidation, ont-ils dit.

Ce n'est pas en s'énervant que les problèmes de l'école publique vont se régler. Encore moins en embauchant des profs de judo, aussi formidables soient-ils.