Lorsque Michelle Courchesne a été nommée ministre de l'Éducation, elle a brassé la cage. Ses fonctionnaires étaient sur les dents.

La ministre défend la réforme du bout des lèvres et elle ne se gêne pas pour l'égratigner. Oui, admet-elle, les connaissances ont été éparpillées dans un océan de compétences transversales et disciplinaires.

Elle a donc redressé la barre: le redoublement et les pourcentages dans les bulletins ont été réhabilités, la dictée sortie des boules à mites et le programme de français revu pour y insuffler de la rigueur.

Même si ses fonctionnaires ont grimpé dans les rideaux, Mme Courchesne a tenu le cap.

Mais ces changements restent superficiels. On rafistole, on tasse une compétence transversale, on ajoute une dictée. Du bricolage. Mme Courchesne n'est pas la première à s'attaquer à la réforme qui bouleverse l'école depuis huit ans. Tous les ministres de l'Éducation ont laissé tomber des aspects controversés. Ils ont arrondi les angles trop socioconstructivistes.

Mais les ministres partent et les fonctionnaires restent. Mme Courchesne a été nommée en avril 2007. Combien de temps survivra-t-elle? Six mois? Un an? Depuis l'entrée en vigueur de la réforme, en septembre 2000, six ministres ont dirigé l'Éducation.

Qui décide, au Québec? Les ministres déguisés en courants d'air ou les fonctionnaires et autres pédagogues entichés de socioconstructivisme qui, eux, s'accrochent?

La réforme a été tellement tripotée qu'elle ressemble à un bébé à trois têtes. Mais un bébé bien vivant, car aucun ministre n'a osé attaquer le coeur de la réforme, soit l'approche par compétences. Et l'idéologie qui la soutient n'a pas bougé d'un iota: la peur pathologique de l'effort.

L'école est facile. Ce n'est pas moi qui le dis, mais les élèves. Selon un sondage Segma-La Presse-Gesca mené auprès de 600 adolescents âgés de 12 à 17 ans, dont les résultats sont publiés aujourd'hui dans La Presse, trois jeunes sur quatre trouvent l'école facile.

Pourtant, à peine 60% d'entre eux réussissent à finir leur secondaire en cinq ans. Imaginez si l'école était exigeante. Ce serait l'hécatombe.

Et ils sont heureux - 96% des élèves l'affirment dans notre sondage.

Heureux, mais ignorants.

* * *

La réforme a de plus en plus de détracteurs. Le dernier en titre, Patrick Moreau, professeur au cégep Ahuntsic, vient de pondre un brûlot au titre évocateur: Pourquoi nos enfants sortent-ils de l'école ignorants?

Bonne question.

Son constat est brutal mais juste. «Le diplôme (d'études secondaires) est accordé avec une scandaleuse libéralité à des jeunes qui parfois ne lisent que difficilement.»

Il se désole devant l'étendue abyssale de leur ignorance, où Adolf Hitler devient Adolf Éclair. Il dénonce le «refus maladif de toute forme d'élitisme», la «culture de la médiocrité».

Pourquoi les élèves sont-ils si faibles en français, demande-t-il, pourquoi plusieurs écrivent-ils «Ils montres» ou «Elles sont émuent», pourquoi une telle ignorance des règles de grammaire?

La réponse est simple: parce qu'on ne les enseigne pas. Ou plutôt, nuance-t-il, parce qu'on les enseigne mal.

Une évidence. Mais elle n'est peut-être pas assez constructiviste ou transversale, cette évidence, pour que les fonctionnaires du ministère de l'Éducation la comprennent.

Patrick Moreau enseigne à des cégépiens qui ont échappé à la réforme. Mais dans deux ans, ils seront dans sa classe. Dans quel état? se demande-t-il.

En parcourant le livre de Moreau, j'avais l'impression de retourner 15 ans en arrière et de lire un autre pamphlet, L'amour du pauvre, de Jean Larose, professeur de littérature à l'Université de Montréal.

Lui aussi dénonçait l'ignorance des jeunes. Il s'attaquait à une autre réforme, celle lancée par le ministre Camille Laurin au début des années 80, qui ne jurait que par l'approche communicative et le vécu, le foutu vécu, où les élèves ont le nez collé sur leur nombril.

Une approche qui «condamne les élèves à réinventer le bouton à quatre trous et à refaire pour eux-mêmes toutes les découvertes de la vie intellectuelle en se croyant les premiers à avoir eu chacune de leurs idées», écrivait-il en 1991.

À force de critiquer la réforme, on oublie le gâchis provoqué par l'approche communicative. On oublie aussi qu'elle avait été concoctée par Camille Laurin pour mettre fin à un autre désastre, celui du programme cadre qui a sacrifié une génération d'élèves dans les années 1970.

L'école est malade de ses réformes. Sommes-nous condamnés à végéter d'une réforme à l'autre?