Nous avions à peine 12 ans et nous nous voulions sorcières. Nous jetions des sorts, nous inventions des potions, nous priions le nez en l'air, les yeux plantés sur des cieux remplis d'étoiles.

Bien au chaud dans nos pyjamas aux couleurs claires et aux motifs naïfs, nous nous penchions sur des planches de Ouija, nos petits doigts poussant plus ou moins subtilement l'anneau de carton vers les lettres qui composaient les prénoms de ceux qui faisaient battre nos coeurs d'enfants.

Nous allumions des lampions, traînions sur nous d'absurdes colifichets qui devaient nous porter bonheur, que nous infusions du pouvoir de nous attacher nos futurs amoureux. Nous avions l'âge d'y croire encore.

"Ben voyons donc, dirait mon amie Judith. On y croit encore. C'est juste qu'on n'a plus l'innocence de nos 15 ans. C'est juste qu'à nos âges, c'est rendu gênant d'y croire."

Alors nous croyons en cachette. Hordes de femmes, pourtant sages et matures, instruites et se voulant cyniques, détentrices de baccalauréats en philosophie et en études religieuses, de maîtrises en génie civil et de doctorats en psychologie. Cadres, chômeuses, travailleuses sociales. Mères de familles plus ou moins nombreuses. Célibataires endurcies, divorcées romantiques, naïves professionnelles, amoureuses désillusionnées.

(Je ne les crois pas, celles-là. Comme ceux qui prétendent bruyamment que les élans du coeur ne les concernent plus. On n'est jamais aussi désillusionné qu'on voudrait le croire.)

Les hommes aussi prient les dieux païens des amours en devenir. Mais ils le font plus souvent que nous dans le fragile refuge de leur orgueil.

À quoi ressemblent-elles, ces muettes incantations qu'on se répète en prenant le métro, en croisant un regard, en se rendant le coeur battant et le pas léger vers un rendez-vous encore plein de promesses?

"Faites que ça marche" - le destinataire de cette vaste prière est pour moi un peu flou. Dieu, Cupidon, Satan, le fantôme de grand-maman, Dame Nature? J'aurais tendance à croire que dans la plupart des cas nous lançons nos souhaits ardents dans l'univers en espérant que quelqu'un, quelque part, une entité cosmique, une onde positive, un coup de vent, va l'attraper et s'en charger.

"Il est 11h11, fait un voeu!". Étoiles filantes, poupées vaudou, voyantes et médiums, mauvais sorts, philtres et potions, ensorcellements, amulettes - la magie se mêle souvent d'amour, peut-être parce qu'à la base, elle lui ressemble, peut-être parce que seule une chose aussi mystérieuse et irrationnelle que la magie donne à l'homme l'impression de pouvoir expliquer l'amour, d'avoir une infime chance d'un jour le dominer.

J'imagine parfois le lourd et volumineux recueils de nos souhaits réunis, de nos rêves d'amour, de nos actes magiques performés avec plus ou moins de conviction, avec un sérieux teinté de doute ou une nonchalance de surface. Confidences souvent humiliantes dont on se moque avec plaisir des années plus tard, aveux troublants, constats d'échec.

Combien avoueraient y croire encore? Pour chaque geste naïf, chaque bouteille jetée dans la mer immense de nos désirs et de nos espoirs, combien de résultats heureux et tangibles?

Assez, de toute évidence, pour que nous continuions à formuler, ensemble ou en secret, d'immortelles formules magiques - et pour que résonne encore, chaque jour un peu partout, celle de toutes nos paroles qui s'approche le plus de l'incantation: "je t'aime".

POST-SCRIPTUM

"Moi j'ai déjà écrit le nom de l'homme que j'aimais sur un Post-it et je l'ai mis dans une petite boîte magique. " Après m'être interrogée sur la signification ésotérique du Post-it, j'ai demandé à mon amie en quoi la boîte était magique. "Parce que j'avais décidé qu'elle était magique." Je ne pouvais que saluer l'esprit d'initiative et l'autonomie de la démarche. Et aussi son succès : elle vit maintenant avec l'homme dont le nom repose encore, à ce jour, sur un Post-it au fond d'une boîte.

Debout devant la vitrine d'une boutique de magie (tout se vend, apparemment. Vraiment tout.), je regarde d'un oeil dubitatif les chandelles rouges (l'amour, si j'ai bien compris, frappera à la porte de celle qui la brûlera), les poudres scintillantes et les bijoux sincèrement encombrants et pas nécessairement jolis qui promettaient amour, joie et fécondité. Une vendeuse sort de la boutique et me dit : "C'est pas pire que des livres comme The Secret. " Elle a tellement raison que pendant quelques secondes je considère l'achat d'un grimoire.

Il y a des souhaits qu'on ne s'avoue même pas. Sur le site postsecret, il y a quelques semaines, on pouvait voir une carte sur laquelle quelqu'un avait écrit : "Je souhaite secrètement que tu sois malheureux. Mais plus secrètement encore, je te souhaite d'être heureux ."