Dans la torpeur de l'été, le gouvernement Harper s'est lancé dans une véritable guerre contre les arts en mettant fin à sept programmes de subventions dans ce qui ressemble bien plus à une croisade idéologique qu'à un exercice de discipline budgétaire.

Entendons-nous. Il n'y a rien de scandaleux, en soi, à ce qu'un gouvernement élimine des programmes de subventions. Ce ne sont pas des vaches sacrées. Un programme peut perdre sa pertinence, être mal géré, il peut aussi être sacrifié pour dégager des fonds pour de nouvelles priorités. En outre, il y a eu assez d'histoires d'horreur à Ottawa pour ne pas croire que les programmes destinés aux arts puissent, eux aussi, comporter leur lot d'abus, d'inefficacité et d'erreurs de jugement.

Les sommes ne sont pas énormes, les sept programmes coûtaient 27 millions sur un budget de 240 milliards, un dix millième du total. Néanmoins, si la mise à mort de ces programmes reposait sur une approche rationnelle et sur une analyse de l'efficacité des politiques culturelles, un débat serait possible. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. L'initiative du gouvernement Harper n'est pas vraiment de nature budgétaire.

Les programmes dont l'abandon a suscité les plus vives réactions sont ceux qui soutiennent le rayonnement à l'étranger, PromArt, ainsi que Routes commerciales, avec une enveloppe de neuf millions administrée par le Ministère des Affaires étrangères. Les explications fournies par les porte-parole du bureau du premier ministre, et ceux du cabinet du ministre des Affaires étrangères, David Emerson, avaient de quoi faire dresser les cheveux sur la tête.

On ne voulait plus de programmes, a-t-on expliqué, qui profitent à des «marginaux», des «activistes» ou des gens «offensants», comme par exemple un groupe rock au nom inacceptable, Holy Fuck. En oubliant soigneusement que ces programmes ont aussi contribué à l'envol de Robert Lepage. Mais le message est clair. On ne veut pas que des fonds publics mettent en valeur à l'étranger des drogués, des tapettes ou des gauchistes.

Une expression de la culture réformiste dans ce qu'elle a de plus bête et de plus primaire, avec son moralisme, avec ses préjugés sur les artistes, et son horreur de la marginalité. Une idéologie des plaines qui a d'ailleurs suscité un grand malaise chez la ministre du Patrimoine, Josée Verner, issue du courant conservateur classique. Après s'être cachée pendant des jours pour ne pas commenter des décisions qui, dans six cas sur sept, relevaient en principe de son propre ministère, elle a refusé de reprendre à son compte la croisade de son propre gouvernement.

Derrière ce moralisme, se profile le populisme. On se refuse à soutenir des artistes «qui feraient sourciller n'importe quel Canadien typique», «que les Canadiens ne seraient pas d'accord pour qualifier de meilleur choix pour les représenter internationalement.» Le raisonnement est en apparence démocratique. Mais aucun pays au monde ne fait ses choix uniquement en fonction de ce que les gens aiment ou n'aiment pas. Les Canadiens aiment les beignes de chez Tim Hortons. Faut-il donc pour autant mettre fin aux campagnes publiques pour réduire la consommation de sucre, de calories vides et de gras trans?

Derrière les préjugés et le mépris, il y a également une conception de l'art et de l'économie. Qui semble dire que les subventions à la culture sont une forme de gaspillage, et que les fonds publics doivent servir à financer des vraies affaires.

C'est une conception étriquée du développement économique. D'abord, parce que les arts et la culture constituent une activité économique porteuse qui crée des emplois et de la richesse. Ensuite, parce que la culture contribue de multiples façons au développement économique. Elle transforme les villes, les rend plus attrayantes pour le tourisme, mais aussi pour les capitaux et le talent. Elle stimule également la créativité qui aide une société à être ouverte et innovatrice. À l'étranger, c'est une carte de visite qui permet de tisser des liens, de «brander» un pays.

C'est d'ailleurs ce que font les États-Unis. Le cinéma, la musique, la télévision sont des industries majeures, qui contribuent de façon significative au rayonnement du pays. Évidemment, chez nos voisins du sud, cela se fait sans aide gouvernementale, parce que le showbizz a la masse critique qui lui permet de voler de ses propres ailes. Dans les plus petits pays, cela prend souvent un coup de pouce de l'État.

Mettre fin à des programmes qui permettent le rayonnement international de la culture, c'est de la mauvaise gestion, de la mauvaise économie, de la mauvaise diplomatie. Et le faire pour des raisons morales et idéologiques, c'est de l'obscurantisme.