La rumeur courait depuis une semaine. C'est le cas de le dire. Elle m'a été confirmée. Une partie des sommes économisées grâce à l'abolition controversée de programmes culturels du ministère du Patrimoine sera réinvestie dans le relais de la flamme olympique des Jeux de 2010. Sans blague.

D'ici avril 2010, le gouvernement conservateur entend abolir, en totalité ou en partie, 14 programmes culturels totalisant 44,8 millions de dollars en subventions. Or, selon le dernier budget fédéral, il en coûtera 48,5 millions à Patrimoine canadien d'ici la même date pour financer les relais de la flamme olympique et paralympique des Jeux de Vancouver et participer au programme Vers l'excellence des athlètes olympiques des sports d'été.

Deux sommes pratiquement identiques. Un hasard? Pas sûr. Le budget fédéral prévoit que «le gouvernement affectera toutes les économies résultantes (de la révision de ses programmes) à d'autres programmes de Patrimoine canadien, entre autres (...) à une aide aux relais de la flamme olympique et paralympique de 2010 et au programme Vers l'excellence». On ne parle pas «d'excellence» dans les arts...

Bref, le gouvernement conservateur retire de la main gauche des millions aux artistes pour les redonner de la main droite aux sportifs. Ou, si vous préférez, il met volontairement en péril une multitude de projets culturels pour faire parader un flambeau jusqu'à Vancouver.

«À la suite de l'examen stratégique des programmes du Ministère, une partie des sommes a été réallouée au relais du flambeau», m'a confirmé le porte-parole de Patrimoine canadien, Dominic Gosselin. Combien? Difficile à dire, mais les coûts des relais de flammes ont été évalués à 24,5 millions.

Je ne veux pas faire mon numérologue - ne m'appelez pas M. Minou -, mais 24,5 millions, c'est à peu près autant que les sept programmes culturels sacrifiés en douce il y a deux semaines par le gouvernement Harper. Des programmes abolis entre autres pour des motifs idéologiques, le gouvernement conservateur estimant que certains artistes «marginaux» et «radicaux» ne méritent pas d'être soutenus par les contribuables dans leurs activités étranges à l'étranger.

J'imagine qu'assurer le relais sans heurt de la flamme olympique peut coûter plus cher qu'il n'y semble à première vue (surtout si des moines bouddhistes ou des intellectuels de gauche manitobains bloquent la Transcanadienne). Mais 24,5 millions pour transporter un cône enflammé? On met ça sur le compte de la flambée du prix du pétrole? J'ai posé la question hier matin à Patrimoine canadien. En début de soirée, je n'avais toujours pas reçu de réponse.

N'est-ce pas Dick Pound, du Comité olympique canadien, qui a déclaré récemment à Pékin, après un examen de la situation, que les risques liés au relais international de la flamme olympique ainsi que ses faibles retombées pour le pays hôte étaient évidents? N'est-ce pas M. Pound qui a suggéré que cette pratique soit abandonnée avant les Jeux de Londres en 2012?

Laissons les débats enflammés aux membres du COC. On ne se formaliserait pas de l'utilisation de ces 24,5 millions de dollars - qui partiront inévitablement en fumée - s'ils ne provenaient en partie du budget culturel de Patrimoine canadien. Il reste que ce «réinvestissement» loufoque de sommes soutirées à des programmes culturels supprimés est symptomatique d'un plus grand mal.

À ce jour, la preuve de l'inefficacité des programmes abolis n'a pas été clairement établie par le gouvernement Harper. C'est même le contraire. Ce qui est clair, c'est que des dépenses récurrentes en culture ont été sacrifiées au profit d'une dépense ponctuelle en sport. Cherchez l'erreur.

Non seulement le gouvernement se targue-t-il de refuser son aide à certains artistes, sous prétexte de conserver intacte la morale de la population canadienne, mais il réalise des économies de bouts de chandelle sur le dos d'artistes reconnus (Les Grands Ballets canadiens, Robert Lepage, Marie Chouinard, etc.) pour payer ses dépenses olympiques.

On savait déjà ce gouvernement conservateur maladroit. Ce que cette dernière «controverse» illustre, c'est sa capacité infinie, non seulement à se mettre les pieds dans le plat, mais à mettre le feu partout sur son passage. Il est question ici de quelques dizaines de millions de dollars consacrés à des artistes et des organismes qui en ont bien besoin. Une infime portion du budget fédéral, pour un fiasco de relations publiques et une condamnation médiatique de tous azimuts.

Pourquoi couper? demandais-je dans cette chronique mardi. Pas, comme le prétendent les conservateurs, pour enlever le gras. Il n'y a pas de gras à l'INIS, pas de gras à la SAT, pas plus de gras chez les membres de Holy Fuck. Plutôt pour plaire à l'électorat réformiste, pour lancer un message clair aux milieux culturels, pour se donner de faux airs de gouvernement responsable. Et pour financer le passage de la flamme olympique des Jeux d'hiver au Qatar, au Mali ou au Belize.

J'imagine déjà la foule en liesse dans les rues de Bamako, chantant en choeur Ô Canada.

Une question à M. Harper: le jeu, les Jeux, en valaient-ils la chandelle?