C'était comme une grande première de cinéma. Tout ce qui grouille et grenouille dans la culture à Montréal était là. Acteurs, auteurs, danseurs, chorégraphes, musiciens, producteurs, metteurs en scène, organisateurs de festival, chefs politiques, présidents d'organismes ou d'entreprises culturelles, même Isabelle Hudon la présidente de la chambre de commerce de Montréal, était là. C'est tout dire.

Près de 2000 personnes sur le plancher de la SAT et aux portes de l'organisme, le coeur solidaire et le poing tendu. Le titre du film? «À soir, on débarque Stephen Art-Peur». «Le déclin de l'empire conservateur». «La maison brûle», «Mme Verner, Chronique d'une mort annoncée», et j'en passe.

Pour tous ces artistes et artisans qui ont répondu à l'appel de Culture Montréal et du Conseil des arts de Montréal et qui, hier matin, sont apparus plus unis et solidaires que les démocrates de Barack Obama, la consigne était claire: forcer le gouvernement Harper et le ministère du Patrimoine de Josée Verner à faire marche arrière et à annuler les compressions de près de 45 millions dans les arts. Dans le cas contraire, la consigne était non seulement claire, mais brutale: débarquer les conservateurs aux prochaines élections.

Il y avait longtemps qu'on avait vu un rassemblement de cette ampleur dans le milieu des arts. La dernière fois, c'était sans doute au sommet Montréal métropole culturelle, mais dans un contexte fort différent et passablement moins conflictuel. Ce coup-ci, c'est un ras-le-bol collectif doublé d'un mouvement de protestation généralisé qui a réuni dans la même salle plus qu'une poignée de marginaux ou d'artistes de pointe, mais bien l'ensemble du milieu.

Quand on retrouve autour d'une même cause des gens d'horizons aussi différents que Dulcinée Langfelder, performeuse singulière et flyée, et Marcel Côté, très sérieux président de la firme de consultants Secor, c'est qu'il se passe vraiment quelque chose. Et quand Denis Coderre, Gilles Duceppe, Pierre Curzi, Francis Fox et Amir Khadir applaudissent aux mêmes discours qui dénoncent des politiques rétrogrades et un obscurantisme révolu, c'est le début d'un front commun qui risque de grossir.

Parmi les arguments les plus convaincants, celui, tout simple, de Samuel Tétreault, membre de la troupe de cirque Les sept doigts de la main, qui a rappelé que le Parlement européen venait de proclamer 2008 l'année du dialogue interculturel. «Alors qu'ailleurs, on réalise de plus en plus que les arts, la culture et les échanges sont essentiels au maintien de la paix dans le monde, le Canada est plus que jamais à contre-courant», a-t-il déploré. Autre son de cloche différent mais tout aussi pertinent, celui de la productrice Denise Robert, qui a mis en doute la sincérité d'un gouvernement qui, d'un coté, reconnaît le Québec comme nation et qui, de l'autre, coupe dans le coeur même de son existence: sa culture.

Isabelle Hudon a pour sa part rappelé que l'empreinte internationale du Canada est d'abord générée par les artistes qui, en se produisant un peu partout dans le monde, ouvrent des portes et bâtissent des ponts qui, en retour, génèrent des contrats pour les entreprises canadiennes. Marcel Côté a poursuivi dans le même ordre d'idée en affirmant que si le Canada a une aussi bonne image de marque à l'étranger, c'est en grande partie grâce au rayonnement de ses artistes.

Tout cela pour dire qu'hier matin, les plaideurs pour la libre circulation de l'art et des artistes d'ici étaient aussi nombreux qu'inspirants.

Mais aujourd'hui et au cours des semaines à venir, les artistes et leurs amis sauront-ils renverser la vapeur et forcer le gouvernement «Art-Peur» à faire marche arrière? Si on se fie au proverbial entêtement dont les conservateurs ont fait preuve par le passé, rien n'est moins sûr.

Et si jamais les artistes perdent cette première manche, réussiront-ils à gagner la guerre et à convaincre les Québécois de ne pas voter pour les conservateurs? Au lendemain de la publication d'un sondage de La Presse nous apprenant que les conservateurs n'ont jamais été aussi populaires au Québec, la question demeure entière.

Chose certaine, les artistes vont devoir faire plus qu'un simple rassemblement pour gagner les gens à leur cause. André Ménard a proposé un relais de la flamme artistique, de Montréal jusqu'au parlement à Ottawa. La salle a éclaté de rire sans prendre au sérieux cette proposition qui tournait en dérision le financement de la flamme olympique avec des fonds jusqu'à présent consacré à la culture. Mais à bien y penser, peut-être que ça prend une vraie flamme passée d'un artiste à l'autre sur la route entre Montréal et Ottawa pour que les conservateurs comprennent enfin que le milieu culturel québécois ne plaisante pas.