Avant de lancer des cailloux au bon juge André Vincent, sachez qu'on ne pariait pas fort sur le maintien intégral de la peine de Vincent Lacroix, dans le milieu juridique.

Sachez également qu'un très grand nombre d'experts s'attendaient à ce qu'on la réduise encore davantage. Pour la ramener au maximum prévu par la loi provinciale : cinq ans moins un jour.

Ils sont fous, ces juristes, me répondrez-vous. Pas tous, mesdames et messieurs, pas tous.

La question ici n'était pas de savoir si Vincent Lacroix mérite 12 ans de pénitencier.

La question (pour moi) était de savoir si on était dans le bon procès pour lui infliger cette peine.

Je vous donne un exemple affreusement boiteux pour illustrer mon propos.

Supposons qu'un type fasse pousser du pot dans son sous-sol. Il se fait pincer, mais avant d'être accusé devant la cour criminelle, la ville l'accuse d'avoir violé un règlement municipal pour avoir pratiqué l'horticulture sans permis dans un secteur non autorisé. Va-t-on lui infliger trois ans de prison pour violation du règlement municipal ? Non : ce sera pour le procès criminel.

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Dans le cas de Lacroix, il fait face à deux séries d'accusations. La première, qui a donné lieu à un procès, pour des violations à la loi provinciale sur les valeurs mobilières. Et la deuxième, pour fraude, en vertu du Code criminel.

Ce sont deux séries d'accusations qui concernent toutes les deux les mêmes faits. Mais chaque loi a sa logique propre.

Il est rare qu'on assiste à deux procès en parallèle pour les mêmes faits. Si la preuve est suffisante et que l'infraction est grave, bien souvent, on laissera fonctionner la justice criminelle, susceptible de produire une peine plus sévère. Il n'y a donc pas de précédent comparable à l'affaire Norbourg.

Dans le cas de Lacroix, l'AMF avait son honneur à laver et a décidé de porter les accusations sans attendre la conclusion de l'enquête criminelle (les accusations n'ont été déposées que le mois dernier).

Qu'importe la loi, les faits sont révoltants. Et même si le procès de Lacroix n'était pas «criminel», le mot fraude était écrit en lettres de feu dans le ciel du Vieux-Montréal.

Que le juge Claude Leblond inflige une peine de 12 ans, donc, cela semblait pleinement justifié et moralement, ce l'était. Mais il l'a fait en additionnant des peines prévues dans une loi qui fixe le maximum à cinq ans moins un jour.

Pourquoi moins un jour? Parce que la Charte garantit à chacun le droit à un procès devant jury pour un crime punissable par cinq ans ou plus.

Jamais un juge n'avait donné plus de cinq ans pour une infraction à une loi provinciale au Canada. Le record était apparemment de quatre ans.

Dans le cas qui nous occupe, le juge Leblond a divisé les accusations en trois groupes. Pour le premier groupe (influencer illégalement le cours de 27 fonds), il a donné le maximum : cinq ans moins un jour.

Pour le deuxième groupe d'infractions (avoir fourni des faux documents à l'AMF), il a infligé trois ans et demi, tout comme pour le troisième groupe (avoir donné de fausses informations à l'AMF). Et il a décidé que la gravité de l'affaire justifiait d'additionner ces peines – le principe est de les confondre. Cinq plus trois et demi plus trois et demi égale 12. C'est ainsi que Lacroix écopa 12 ans moins un jour.

Les juges ont déjà dit que les peines peuvent être consécutives, quitte à dépasser le maximum. Mais le maximum de cinq ans, qui nous fait basculer dans une autre catégorie constitutionnelle? La question reste ouverte.

Ici, la défense plaidait simplement que la peine était déraisonnable. Le juge Vincent dit que son collègue Leblond n'a commis aucune erreur, qu'il a très bien travaillé et que ce scandale est «sans précédent», ce qui justifie une peine lourde.

Même quant à la décision de rendre les peines consécutives plutôt que concurrentes (purgées en même temps), le juge du procès a droit à beaucoup de latitude et il faut hésiter à intervenir en appel.

Le juge Vincent ne fait qu'un seul reproche à son collègue : il n'y a pas lieu de distinguer les deux dernières catégories, puisqu'il s'agit du même délit : tromper l'AMF. La distinction entre l'information fausse et les documents faux est artificielle, dit-il. Ces peines de trois ans et demi doivent être confondues. Ce qui ramène le total à huit ans et demi «moins un jour».

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Déjà, le public crie son indignation. Tout ce qui peut paraître une mesure de clémence envers Lacroix est choquant, évidemment.

Quant à moi, même si je comprends la logique du jugement Vincent, je trouve qu'il tombe entre deux chaises. Ou bien on respecte le jugement «sans erreur» du juge Leblond, et on respecte les catégories qu'il crée. Et alors la peine demeure de 12 ans. Ou bien on ramène le tout au maximum de cinq ans moins un jour, puisqu'il s'agit de la loi sur les valeurs mobilières, pas du Code criminel.

Personnellement, c'est cette deuxième option que j'aurais préféré – ce qui aurait choqué encore plus.

Pourquoi? Parce qu'on vient d'ouvrir la porte à des peines de 10 ans en vertu de lois particulières, mais sans droit au jury.

C'est au procès pour fraude, s'il est déclaré coupable, que je lui infligerais 12 ans, sinon carrément le maximum – qui est de 14 ans. Voilà qui aurait été clair.

En ce moment, on est devant un méli-mélo juridique un peu incohérent, créé à la demande de l'AMF pour soulager la colère légitime du public.