Il y avait sept humains et un cheval au départ de la finale du 100 mètres, hier. Les humains, l'histoire oubliera leur nom. Le cheval restera dans la mémoire de ceux qui ont vu sa course, pas tant pour sa victoire que pour son bonheur de courir. Et pour son record du monde, bien sûr, parce qu'on a changé de décimale. C'est toujours un grand coup de tonnerre dans le ciel du sprint quand le chrono change de décimale.

La dernière fois, c'était il y a 20 ans, c'était Ben Johnson, 9,79. J'étais debout sur ma chaise dans la tribune, je hurlais.

Hier soir, c'était encore un Jamaïcain, Usain Bolt, 9,69. Mais désolé, je ne monte plus sur les chaises. Blasé? Non, prudent. Peut-être un peu rabat-joie et j'en suis désolé, mais je ne peux pas ne pas me souvenir que, depuis 20 ans, trois records du monde ont été effacés pour dopage(1).

À voir

>>> La course d'Usain Bolt en photos

Ce qui restera aussi dans les mémoires, c'est que Bolt, hier soir - comme Ben il y a 20 ans, excusez-moi d'insister - Bolt, disais-je, a commencé à ralentir avec 20 m à faire, et c'est la question que tout le monde se posait en quittant le stade: s'il avait continué sur sa lancée, il aurait arrêté le chrono à quoi, 9,59?

Ce qui est très différent d'il y a 20 ans, c'est l'esprit de cette finale. Ben Johnson était une boule d'agressivité, il arrachait la piste. S'il a arrêté de courir, c'est seulement pour ajouter à l'humiliation de Carl Lewis.

Usain Bolt, lui, ne courait contre personne. Il était seul en piste. Il avait effacé tous les autres. S'il a arrêté son effort à 20 m de la ligne, c'est pour commencer à célébrer, pour offrir sa victoire aux 91 000 spectateurs trop sidérés pour se lever de leur siège. Ou est-ce parce qu'ils sont Chinois et connaissent mieux le ping-pong?

Bolt a connu un départ affreux. Il est resté collé dans les blocs, un départ de coureur de 800. J'exagère, bien sûr. Le mystère, c'est comment, avec un tel départ, a-t-il pu se retrouver devant aux 40m? Tandis que ses jambes de géant le portaient loin en avant, les autres disparaissaient, rejetés dans l'anonymat. Deux dixièmes - comme un siècle qui sépare deux époques - deux dixièmes séparaient Bolt du second, le Caribéen Richard Thompson.

Le massacre avait déjà commencé en demi-finale (9,85). Là aussi, il avait coupé son effort à 20 m de la ligne - c'est décidément une manie -, et il ne s'est pas vraiment expliqué là-dessus. Pourquoi coupez-vous votre effort?

Parce que quand c'est gagné, c'est gagné, inutile d'en rajouter.

Vous auriez pu descendre sous les 9,60...

Je ne m'intéresse pas aux records ni au chronomètre, seulement aux victoires.

Pour revenir aux demi-finales, elles ont fait passer à la trappe le champion du monde en titre, l'Américan Tyson Gay, et le vice-champion olympique, le Portuguais Francis Obikwelu. Gay était mon favori, merci de me le rappeler. Je ne pouvais pas deviner qu'il était mal remis de sa chute aux sélections américaines. Cela dit, même au mieux de sa forme, le duel tant attendu n'aurait pas eu lieu. Bolt l'aurait largué comme les autres.

Quelles sont les limites de Bolt? Il n'en sait rien lui-même. Avec la forme qu'il a montrée hier soir, s'il veut bien se donner la peine de courir 100 m et pas 85, et avec un vent favorable à la limite permise de 2mètres/seconde - hier le vent était nul -, Bolt pourrait s'approcher de 9,55, pas loin de la marque impensable, la veille encore, de neuf secondes et demie.

Rapelons que Bolt est (était?) d'abord un coureur de 200, qu'il va sûrement s'offrir le doublé à ces Jeux et sans doute s'attaquer au record que l'on pensait imprenable de Michael Johnson (19,32). C'est tout le sprint qui est à repenser depuis hier.

Vous avez sans doute noté que, avec trois Jamaïcains, deux Barbadiens et cet inconnu des Antilles néerlandaises, cette finale avait été bien peu nord-américaine même si Walter Dix a fait la médaille de bronze. Je n'ai entendu personne s'en plaindre hier dans le stade.

Chronologie du record du monde du 100 m d'athlétisme:

9.92// Carl Lewis (USA) 24/09/88 à Séoul

9.90// Leroy Burrell (USA) 14/06/91 à New-York

9.86// Carl Lewis (USA) 25/08/91 à Tokyo

9.85// Leroy Burrell (USA) 06/07/94 à Lausanne

9.84// Donovan Bailey (CAN) 27/07/96 à Atlanta

9.79// Maurice Greene (USA) 16/06/99 à Athènes

9.77// Asafa Powell (JAM) 14/06/05 à Athènes

9.74 // Asafa Powell (JAM) 09/09/07 à Rieti

9.72 // Usain Bolt (JAM) 31/05/08 à New-York

9.69 // Usain Bolt (JAM) 16/08/08 à Pékin