Le soudain départ de Philippe Couillard de la vie politique, en juin, avait été un choc pour le gouvernement Charest, mais sa nouvelle carrière dans le secteur privé se transforme maintenant en un embarras pour les libéraux.

Que l'ancien ministre de la Santé passe au privé, bon, ce n'est pas une grosse nouvelle. En fait, ce n'est pas une nouvelle du tout, on savait qu'il prendrait cette voie. Philippe Couillard avait indiqué qu'il ne reprendrait pas son bistouri et il n'allait tout de même pas devenir directeur d'un CLSC.

Ce qui surprend – ce qui choque, même – c'est le choix de son nouvel employeur et la rapidité avec laquelle il passe de gardien du système public à gestionnaire au privé.

Il y a huit petites semaines, M. Couillard était ministre de la Santé, où il a toujours affirmé son attachement au système public. Le voilà maintenant à l'emploi d'une firme qui mise sur la privatisation galopante de certains pans du réseau pour faire des profits. La réorientation de carrière de l'ex-ministre, on s'en doute, soulève quelques questions. En matière de conflit d'intérêts, c'est bien connu, on se méfie autant des apparences que des faits.

Pendant plus de cinq ans, un record au Québec, Philippe Couillard a été à la tête du ministère de la Santé. Il a dirigé les changements au sein du réseau, il a approuvé les plans stratégiques et il a été au centre des discussions sur l'explosion des coûts des soins et des médicaments, sur le recours au privé, l'ouverture aux assurances privées et, bien sûr, du dossier des deux mégahôpitaux de Montréal.

Disons que Philippe Couillard a une connaissance intime du réseau de la Santé québécois, de la machine gouvernementale et de ce gouvernement. Il a beau dire qu'il n'a plus accès aux dossiers gouvernementaux depuis sa démission (cela va de soi), il reste que personne au Québec ne connaît mieux le monstre de la santé que Philippe Couillard.

On peut fort bien comprendre qu'une telle connaissance soit très recherchée par une firme comme PCP. Il est difficile d'imaginer que M. Couillard, dans le cadre de ses nouvelles fonctions, ne soit pas appelé à partager son expertise avec ses nouveaux patrons, qui cherchent, justement, de nouveaux débouchés pour leur entreprise.

Supposons que la ministre des Transports quitte son poste et se joigne, quelques semaines plus tard, à Bombardier. On se poserait aussi quelques questions.

Sur la défensive, le bureau de Jean Charest, a expliqué hier que les règles en vigueur depuis 2003 (lancées par le gouvernement Landry dans la foulée des affaires de lobbyistes et paraphées par Jean Charest) imposent un cadre strict aux anciens ministres. Un cadre, certes, mais les contours demeurent flous. Comme c'est toujours le cas en matière d'éthique, la ligne est très mince.

Les directives disent, notamment que :

– une personne qui a cessé d'exercer ses fonctions pour l'État doit se comporter de façon à ne pas tirer d'avantages indus de ses fonctions antérieures au service de celui-ci ;

– une personne qui a cessé d'exercer ses fonctions pour l'État ne doit pas divulguer une information confidentielle dont elle a pris connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Elle ne doit pas non plus donner à quiconque des conseils fondés sur de l'information non disponible au public, dont elle a pris connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et qui concerne l'État ou un tiers avec lequel elle avait des rapports directs importants au cours de l'année qui a précédé la cessation de ses fonctions.

– un ministre ne peut intervenir pour le compte d'autrui auprès d'un ministère où il a travaillé au cours des deux années suivant son départ.

Évidemment, on ne verra pas M. Couillard attablé avec son successeur dans un restaurant couru de Grande-Allée, à Québec, mais on n'installera pas non plus de micro chez PCP pour s'assurer qu'il ne parle jamais de son ancien ministère. L'affaire est embêtante pour Jean Charest parce que chaque fois qu'il sera question de l'implication du privé en santé, surtout si PCP est dans le décor, l'opposition (politique, syndicale, professionnelle) brandira le spectre de l'ex-ministre de la Santé.

«Nous nous sommes assurés que M. Couillard n'a pas eu de contact avec cette firme en particulier avant de quitter et que toutes les règles ont été respectées, disait-on hier au bureau du premier ministre. Quant à ses nouvelles fonctions, on croit comprendre qu'il travaillera sur la scène canadienne.»

D'un autre côté, M. Couillard a aussi le droit de relancer sa carrière. Rien ne dit que les anciens ministres doivent entrer dans les ordres quand ils quittent le cabinet. Il a donc droit au bénéfice du doute, mais il est sous haute surveillance. En ce sens, l'arrivée de ce nouvel employé vedette risque de fermer davantage de portes que d'en ouvrir à PCP.

La réaction de certains groupes, hier, au nouvel emploi de Philippe Couillard aura démontré, une fois de plus, que la privatophobie est encore bien présente au Québec. C'est à croire que M. Couillard vient de vendre son âme au diable.