C'est une journée dont je me souviendrai longtemps. Le genre de journée où le sport s'exprime dans toute sa splendeur.

Je n'étais malheureusement pas au Cube d'eau pour voir Michael Phelps gagner sa septième médaille d'or, dans le 100 m papillon. Couché tard, levé tôt pour finir mes textes, j'étais claqué. De toute façon, je n'avais pas de billet (même les journalistes ont besoin d'un billet pour aller aux finales de natation, et ils sont rationnés).

Alors, j'ai regardé la course à la télé, assis sur mon lit. Mais je ne suis pas resté assis longtemps. Quand j'ai vu Phelps traîner loin derrière, juste avant le virage, je me suis levé et, comme à peu près tout le monde sans doute, je me suis dit que c'était fini, que le moustachu record de Mark Spitz ne serait pas battu: Phelps ne gagnerait pas huit médailles, après tout.

Vous connaissez le reste de l'histoire. Phelps est ressorti du virage à la vitesse d'une torpille et s'est mis à doubler ses adversaires comme un hors-bord qui fait la course à des pédalos. Jusqu'au dernier, le Serbe Cavic, qu'il a doublé dans le dernier centième de seconde de la course. Inhumain. J'en trem- blais.

Passent les heures - et les médailles canadiennes! - et je me retrouve au Nid d'oiseau. Pas besoin de billet ici. Avec 91 000 places, il y a de la place pour tout le monde, y compris pour un journaliste censé être en congé d'athlétisme, mais qui n'aurait manqué la finale du 100 m pour rien au monde.

Je suis assis dans le coin du stade, au bout de la ligne droite. Les flashes crépitent comme des étincelles dans les gradins bondés. Les huit sprinters sont là-bas, droit devant moi, au bout de leurs couloirs respectifs. Sur le blogue olympique, je viens de prédire une victoire de Bolt en 9,74, mais je me demande si je n'aurais pas dû m'en tenir à mon intuition initiale: 9,71 et nouveau record du monde. Bolt cabotine devant les caméras, alors qu'Asafa Powell a l'air crispé. Au moins, il est là. Tyson Gay, éliminé en demi-finale, ne peut en dire autant.

Et puis, soudain, ils sont partis. Vite, très vite. Bolt, comme Phelps avant lui, passe à la vitesse supérieure. Il largue le peloton, écarte les bras aux 80 mètres puis se frappe la poitrine du poing avant même d'avoir franchi la ligne d'arrivée. Surhumain. Je songe à Ben Johnson à Séoul, le doigt tendu vers le ciel, le regard par-dessus l'épaule pour trouver Carl Lewis, perdu dans la brume. Mais ça ne dure qu'un instant. Car ce soir, je n'ai pas envie de penser à Ben Johnson et à tout ce qu'il incarne. J'ai envie de me laisser porter par l'ivresse que le sport procure. Sans cynisme, sans doute. Et je ne suis pas seul: autour de moi, dans le stade, tout le monde sourit.