Cinq haltérophiles représenteront le Canada à Pékin, trois filles, deux garçons. Une seule petite chance de médaille: Christine Girard de Rouyn. La star de l'équipe alors?

Non! Par sa réserve, sa modestie on ne peut pas dire que Christine Girard soit une star. Le modèle même de l'anti-star. Mais on peut dire meilleure haltérophile canadienne des deux sexes et toutes catégories confondues. On peut dire aussi la nouvelle Maryse Turcotte. C'est déjà bien non?

Cadette de quatre soeurs qui ont toutes touché à l'haltérophilie, Christine est née en Ontario dans la ville minière d'Elliott Lake où elle a vécu jusqu'à l'âge de 8 ans, papa mineur on le devine qui rapatriera la famille en Abitibi quand la mine ontarienne fermera. Papa toujours mineur d'ailleurs dans le Grand Nord.

Pourquoi l'haltérophilie? Parce que dans cette ville minière du nord de l'Ontario, une autre fille de mineurs (Julie Malenfant) allait participer aux Championnats du monde juniors. On voudra l'imiter. Papa Girard fondera le club Héraclès, en sera un temps président.

Championne canadienne chez les 63 kg, record canadien à l'épaulé-jeté (131 kg), pour un total aux deux barres, record canadien aussi, de 231 kg, tout cela en mai dernier.

S'en contenterait-elle à Pékin? Absolument! Pékin est si loin, l'environnement si différent... Pour bien comprendre, Christine n'est même pas de Rouyn, elle est de Granada, à 15 kilomètres du centre-ville de Rouyn, son cheval Fred, ses deux chiens, la campagne... loin, très très loin de Pékin et de son brouhaha olympique.

Alors 231 kg? Elle signerait tout de suite. Serait-ce assez pour monter sur le podium?

Peut-être. Mais peut-être aussi que cela lui vaudrait une 5e, une 6e, une 8e place.

Un mot de son entraîneur, Yovan Fillion qui sera à Pékin, préparateur physique venu à l'haltérophilie sur le tard. En fait c'est Christine qui lui a enseigné l'haltérophilie, ce qui n'est quand même pas banal...

Christine prépare un bac en enseignement des mathématiques au secondaire.

Jeane Lassen, 27 ans, est l'autre vedette de l'équipe canadienne d'haltérophilie à ces Jeux. Elle est du Yukon et se souvient encore de l'arrivée de la famille Lassen à White Horse. C'était le 4 octobre 1989, elle avait 9 ans. Ils venaient de Victoria; son père voulait monter un truc pour les touristes au Yukon. Ça n'a jamais marché, mais le Yukon par contre, holà! Ils ont adoré. Ils y sont toujours, même si entre-temps Jeane a bien failli devenir Montréalaise.

Jeane a commencé à pratiquer l'haltérophilie avec... un bâton de hockey! Les charges disponibles à White Horse étaient bien trop lourdes pour la petite fille qu'elle était. «Je ne sais pas si vous figurez la chose, mais pratiquer la technique de l'haltérophilie avec un bâton de hockey, c'est long longtemps!»

À 17 ans, elle déménage à Brossard pour s'entraîner avec Maryse Turcotte et son coach (Pierre Bergeron), se blesse au dos juste avant les Jeux de Sydney, le prend assez mal, quitte l'haltérophilie, entre à McGill où elle va jouer au hockey... ah ah c'est donc à cela que sert ce foutu bâton!

Elle revient à l'haltérophilie deux ans plus tard, à l'instigation de sa mère, retrouve la passion et en 2006, au Championnat du monde à Saint-Domingue, remporte la médaille d'argent à l'épaulé-jeté (136 kg) et la bronze au total des deux barres (236 kg). Suivra un stage de trois mois en Italie, à Rome... où elle s'ennuie comme jamais du Yukon.

Allons donc mademoiselle, Rome tout de même!

«Je n'ai jamais vu Rome. Je vivais dans ce camp d'entraînement et c'est cet enfermement douillet qui m'a donné la nostalgie du Yukon... Anyway, où que je sois, je m'ennuie toujours du Yukon.»

Elle est retournée à Whitehorse où l'a rejoint son entraîneur Guy Greavette, encore, nous précise-t-elle «que mon vrai entraîneur ce soit... ma mère!»

Elle a un bac en enseignement de l'anglais langue seconde, mais pourrait enseigner le français langue première n'importe quand. À Pékin elle lèvera dans la catégorie des 75 kg. Elle espère égaler son record à l'arraché (110 kg. Avec un total de 240 kg elle pourrait espérer... une sixième place.

Marilou Dozois-Prévost, 23 ans, découvre l'haltérophilie un midi, à l'école Honoré-Mercier (à Ville Émard) une copine lui dit: tu viens, y'a une fille qui vient parler d'haltérophilie...

C'était Maryse Turcotte. Un autre midi il y a eu une démonstration. Marilou a levé sa première barre. Pas concluant! Elle a réessayé. C'est presque tout de suite devenu une passion. Finalement, c'est un peu Maryse qui a amené Marilou à l'haltérophilie, et c'est un peu Marilou - un tout petit peu seulement - qui a poussé Maryse vers la sortie, en la devançant dans le sprint final pour la dernière place disponible pour Pékin.

«Je ne suis certainement pas la seule qui est venue à l'haltérophilie grâce à Maryse. Et qui s'en inspire depuis. Son éthique de travail surtout. Cette exacte concordance entre ce qu'elle dit et fait avec passion. Un exemple pas seulement comme haltérophile...»

Marilou lève dans la même catégorie - les 48 kg que Maryse (la Maryse d'après Athènes), pour le reste elles sont complètement différentes. Marylou est une assez grande chose blonde et mince qui compte plus sur sa technique et sa vitesse que sur sa force, étonnante à l'arraché dont elle détient le record canadien (77 kg), plus «ordinaire» à l'épaulé-jeté (93 kg)...

Elle sera une des toutes premières athlètes en action le premier jour des Jeux, le samedi matin 9 août, à 10h du matin, à 11h, merci bonsoir, les Jeux de Marylou seront finis. Non, elle ne pense pas podium. Elle pense deux fois son poids à l'épaulé-jeté, 96 kg, elle pense 78 kg à l'arraché, elle pense Londres dans quatre ans.

Elle entre en psycho à l'UQAM à l'automne.

Francis Luna-Grenier non plus ne pense pas podium. Meilleur haltérophile masculin canadien à 21 ans, il s'en va à Pékin sans complexe, reste que sa vraie destination est Londres dans quatre ans. Pékin, c'est pour la découverte, il y vise une place dans les 10 premiers, catégorie des 69 kg.

Meilleur en principe à l'épaulé-jeté, c'est souvent à l'arraché qu'il réussit ses meilleures barres, par exemple 135 kg au récent Championnat canadien pour un record canadien.

Mexicain par sa maman (Luna), Francis étudie en sciences de la nature au cégep Ahuntsic. Il est venu à l'haltérophilie par un camp de jour à Claude Robillard, où l'on faisait tâter de tous les sports aux ados en vacances. C'est encore là qu'il s'entraîne avec le club d'haltérophilie de Montréal.

Atypique tant par sa morphologie, un grand maigre dans un sport où c'est plutôt un avantage d'être petit et râblé que par sa personnalité disons expansive et colorée dans un sport où la discrétion et la modestie sont des vertus cardinales. Francis s'est entraîné seul avant d'engager André Kulesza, préparateur de grand renom (et de luxe) de plusieurs athlètes montréalais.

L'équipe canadienne est complétée par Jasvir Singh, de Victoria, qui lèvera dans la catégorie de 62 kg. D'origine indienne, Singh vise lui aussi une dixième place. Il est entraîné par Guy Greavette, le même entraîneur que Jean Lassen.