Si j'avais à écrire une ode, je ne voudrais pas être originale. Je la composerais en l'honneur des hommes que j'ai aimés et que je n'ai jamais vraiment cessé d'aimer. Ils sont ma grande et orgueilleuse victoire, ces amours qui ont traversé les années et les ruptures, qui ont survécu, même, aux nouvelles amours.

Je voudrais les chanter dans toute leur fragile beauté, rendre justice à leurs défauts parce que ce sont souvent eux qui me les ont fait aimer avec la profondeur qu'ils méritaient. J'essaierais de me moquer doucement d'eux parce que c'est ce que nous avons toujours fait entre nous, et que c'est dans nos regards attendris et nos rires complices que nous nous sommes toujours retrouvés. Et je ferais leurs louanges et alors devrais me moquer de moi parce que je me saurais trop partiale et que je n'ai jamais su mesurer mes mots en parlant de mes amours.

J'ai gardé d'eux mille souvenirs et la confiante certitude que l'amour existe - et qu'il ne meurt jamais vraiment. Ahurissement et consternation devant les couples qui se défont complètement, les liens qui se brisent à tous jamais, les coeurs qui s'entremêlent et un jour ne se retrouvent plus. Moi, au-delà de ces moments où nous pouvions dire «nous deux», je cherche encore leurs coeurs, sans panique, sans frénésie, pour retrouver leur présence autant réconfortante qu'éblouissante, pour me souvenir qu'il y a encore de la beauté dans le monde.

Parfois, désireuse de faire ma fière-pète, comme dirait ma mère, j'entreprends de m'auto-péter la bretelle et je me félicite à voix haute d'avoir su choisir et rencontrer des hommes à ce point merveilleux, tellement extraordinaires qu'aucune déception n'a pu me les aliéner. Et si aujourd'hui je les défends avec une passion presque farouche, c'est que j'ai continué à croire en eux bien après avoir cessé de croire en nous.

Auprès d'eux, l'affection confortable et simple des coeurs qui se connaissent parfaitement, des esprits qui n'ont plus à se chercher et des regards qui ne jugent jamais. Le doux luxe d'être parfaitement soi-même et l'étrange satisfaction d'avoir pu troquer des amoureux contre des frères. Le sentiment d'échec loin de nous, reste le discret triomphe d'avoir la grâce et le bonheur de ne pas avoir tout perdu, de peut-être même avoir gagné quelque chose, au bout du compte.

Parce qu'ils sont mes hommes du bout du compte, mes hommes de «at the end of the day», mes hommes d'après le déluge. Et après nos tristes déluges nous sommes devenus les uns pour les autres auvents et parapluies, nous sommes devenus refuges.

Si mon ode s'adressait aux enfants que je n'ai pas encore eus, je la ferais presque pédagogique, à la limite suppliante. Je me mettrais à genoux pour les convaincre de ne jamais renier ceux qu'ils ont vraiment aimés et qui les ont aimés en retour, parce qu'il n'y a pas une quantité infinie d'amour en ce monde et que j'ai la naïveté de croire que nous avons un devoir envers celui qui nous a été offert.

Je leur dirais aussi qu'il n'y a pas de plus bel accomplissement pour deux coeurs autrefois blessés que de se rejoindre tranquillement dans la tendre affection de nos plaies cicatrisées.

Mais c'est à mes hommes d'autrefois que je reviendrais pour les remercier, avec une effusion presque impudique et une sincérité inébranlable, de ne jamais s'être refermés complètement. Et je leur répéterais, pour ce qui ne sera jamais la dernière fois, que je les aime encore. Sans douleur, maintenant - seulement avec bonheur.