Andréanne Morin est en larmes dans la zone «kiss and cry». C'est au bout du bassin, où parents et journalistes attendent les athlètes, un lieu vraiment bien nommé, «kiss and cry», des becs et des larmes.

On a attendu longtemps les filles du huit. Elles ont terminé quatrièmes de leur finale. Elles étaient troisièmes durant toute la course derrière les Américaines et les Roumaines, à 200 mètres de la ligne, elles n'ont pas vu se faufiler les Hollandaises qui les ont repoussées à la quatrième place, la place plus décevante de toutes, la place qui laisse des regrets, la place qui fait pleurer.

Longtemps elles sont restées prostrées sur le ponton près des garages à bateaux. Inconsolables. Andréanne a été une des premières à émerger, elle est venue vers nous, souriant et pleurant en même temps.

«Je n'ai pas d'explication...» Submergée par l'émotion, les sanglots la font hoqueter sur chaque mot. «Je ne sais pas, poursuit-elle. Il faudra que je regarde la vidéo, pour l'instant je ne peux rien expliquer. Tout ce que je sais c'est que les Hollandaises ont couru le dernier 500 mètres en 1.28, c'est un sprint incroyable, le temps intermédiaire le plus rapide de la course, ces filles-là ne nous avaient jamais battues.»

Fortes d'une presque victoire à la dernière régate internationale de Poznan, Andréanne me disait en entrevue juste avant les Jeux, que les Canadiennes du huit visaient la médaille d'or. Quatrièmes ! Elles sont dévastées.

Vous ne soupçonnez pas comme c'est dur à avaler avoue-t-elle. La plus amère de toutes mes défaites.

Il faut savoir que le huit est le roi des bateaux, que ces filles-là sont les reines de l'aviron et qu'elles tombent de haut. Il faut savoir qu'un huit ce n'est pas huit filles qui s'entraînent ensemble. Ce sont huit filles qui vivent ensemble, cinq mois par année, sept l'année du grand objectif olympique. Elles sortent le bateau qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige même. Un huit c'est un voyage. Et c'est pour ça qu'elle pleure, Andréanne : parce que c'est la fin du voyage. La fin d'un cycle qui a épuisé toutes leurs énergies. Recommencer serait impossible.

«Nous sommes quand même quatrièmes au monde», dit Andréanne pour se consoler. Mais elle repart à sangloter de plus belle. Justement, elles ne voulaient pas être quatrièmes!

Débarrassée des médias, elle se jette dans les bras de sa mère. Son père lui frotte le dos doucement. Elle a fêté ses 27 ans le jour de la cérémonie d'ouverture. Elle est diplômée de Princeton. Ça n'empêche pas les gros chagrins d'enfant.

Tandis qu'elle est toujours effondrée dans les bras de sa mère, l'Ô Canada retentit plus loin. C'est le huit masculin qui a gagné l'or.

La rédemption

Vous qui tripez médailles savez-vous seulement qu'elles ne sont pas toutes du même poids ? Celle du marathon évidemment plus lourde que celle de la trampoline, et celle du concours général de gymnastique la plus lourde de toutes.

Celle du 100 mètres? Du clinquant. Une breloque pour les beaufs.

Les plus belles de toutes? Celles de l'aviron, savez-vous pourquoi? Vous l'avez peut-être remarqué : parce qu'elles ne sont pas remises sur un podium, tous les récipiendaires sont à hauteur normale d'hommes et de femmes. C'est voulu. Tout l'esprit de l'aviron dans ce détail. Un sport incroyablement exigeant qui soude les rameurs dans la souffrance, affole leur coeur à 240 pulsations/minutes, les fait vomir, mais à la fin les fait copains sans podium.

De toutes les médailles de l'aviron, celle du huit de pointe est un diamant brut.

Ce n'est pas seulement une seconde médaille d'or que le Canada a gagné hier au bassin de Shunyl en remportant le huit de pointe masculin. C'est aussi la médaille la plus prestigieuse des Jeux après celle du concours général de gymnastique.

Le Canada déjà champion du monde a dominé la course de bout en bout laissant les Anglais et les Américains à deux secondes, lavant magnifiquement l'affront d'Athènes où ils étaient aussi les meilleurs, sauf qu'à Athènes, ils avaient choké. Depuis quatre ans ils vivent retranchés dans leur camp à Victoria, se ferment la gueule depuis quatre ans, ont travaillé comme des chiens, n'ont presque pas fait de régates sauf pour aller gagner le Championnat du monde. C'était le prix à payer pour laver la honte d'Athènes.

Je donne le nom de ces huit garçons et demi, qu'on se souvienne, si le Québec venait à se séparer, de les laisser entrer sans passeport. En commençant par les hommes de proue, Kevin Light et Ben Rutledge. Dans la salle des machines (le milieu du bateau), Andrew Byrnes, Jake Wetzel, Malcolm Howard et Dominic Setterle. Enfin, les trois de derrière qui, à l'aviron, sont devant (je vous expliquerai une autre fois), Adam Kreek, le chef de nage Kye Hamilton, et la demie : le barreur Brian Price, seulement 55 kilos pour 5 pieds 4, mais il compte pour une portion entière.

Plus tard dans la soirée, Ben Rutledge est venu raconter sa course dans la salle de presse, cela n'arrive qu'à l'aviron, les rameurs débarquent dans la salle de presse, salut les gars... «Ce n'est pas une course bien longue à raconter a dit Rutledge, nous avons pris la tête dès le début et nous avons rendu la course si difficile que personne ne nous a jamais rattrapé, les plus près étaient les Anglais, mais pas si près, à 2 secondes. La course parfaite, je n'y crois pas encore...»

L'après-midi avait commencé par la médaille de bronze de Mélanie Kok et Tracy Cameron en 2 de couple poids légers; une autre médaille de bronze devait s'ajouter quand le quatre de pointe poids légers devançait les Français. Quatre médailles à l'aviron avec celle d'argent de samedi dans le deux de pointe avec Scott Frandsen et David Calder.

L'après-midi avait commencé sous la pluie, il se terminait sous un petit soleil pâle. Il faisait soudain un peu frais. Ça va prendre une petite laine pour finir les Jeux.

ADMIRABLES ÉTHIOPIENS – Bekele et ses amis nous ont refait le coup d'Athènes dans le 10 000 mètres; ils ont envoyé le vieux Gebreselassie faire la job en avant, je ne sais pas si les Érythréens étaient aussi dans le coup mais ils ont pris le relais quand Gebre a levé le pied et la table était mise pour Kenenisa Bekele. Avec deux tours à faire, il a pesé à fond sur l'accélérateur et lâché les Kenyans, c'était le but de l'opération. Les Éthiopiens font un et deux, avec un record nouveau olympique pour Bekele (27.01). Gebre est plus loin, il s'en fout, son truc c'est le marathon qu'il ne voulait pas courir ici, officiellement pour cause de pollution, plus probablement pour raison de conflit d'horaires avec un marathon plus payant de fin de saison en Europe ou en Amérique.

La pollution n'a pas beaucoup dérangé les filles du marathon en matinée, remporté par cette Roumaine dont je ne veux pas me souvenir du nom sur Catherine N'Dereba. Les temps ne sont pas super (2 h 27), mais les filles ne semblaient pas trop souffrir.

Pas un grand dimanche pour l'athlétisme canadien, Kevin Sullivan et Natham Brannen sèchement éjectés en demi-finales du 1500; du coup Kevin a presque annoncé sa retraite. «J'ai 34 ans et ne pense pas entreprendre un autre cycle olympique». Brannen était ébranlé : «Je viens d'apprendre que je ne suis pas de calibre avec les meilleurs au monde».

Carline Muir n'ira pas en finale du 400, on ne s'y attendait pas non plus, Mike Mason ne fera pas la finale de la hauteur, Jim Steacy 12e au lancer du marteau (75,72).

Priscilla Lopes passe en demi-finale du 100 haies, mais pas Angela White. Pour le triplé des Jamaïcaines dans la finale du 100 m, je suis tanné de vous entendre dire qu'elles devaient en avoir fumé du bon, allez donc en fumer un, et vous me direz si vous avez envie de courir...