Du balcon d'Adrien Lefebvre, j'avais une vue imprenable sur la fourgonnette qui flambait, dans le stationnement du petit centre commercial, coin des rue Pierre et Roland. C'était hier soir, un peu avant minuit.

D'habitude, Montréal se paie des émeutes liées au hockey. Le Canadien gagne la Coupe (ou une série), on casse des vitrines rue Sainte-Catherine, on met le feu à quelques voitures.

Mais hier, c'était une véritable émeute «sociale», qui va occuper pendant des semaines les faiseurs d'opinion et les experts en immigration et en colère des jeunes.

Émeute sociale? Montréal-Nord est un quartier chaud depuis des années. Samedi, il a atteint le point d'ébullition: un jeune de 18 ans a été abattu par un policier à la suite d'une altercation, au parc Henri-Bourassa. Hier soir, il y a eu une manif contre la brutalité policière.

Puis, après la manif, l'émeute.

C'est ce qui fait qu'à près de minuit, un dimanche, j'étais sur le balcon d'Adrien Lefebvre. Plutôt que de regarder Entourage avec Mme Lagacé, je regardais flamber un véhicule devant un commerce portant le nom tout destiné de Flamme du dollar (ça ne s'invente pas).

Adrien, un grand costaud de 18 ans, essayait de rassurer sa maman, cachée dans la cuisine: «Les pompiers arrivent, Maman! Y a plus rien à craindre, je t'assure!»

Puis, se tournant vers moi, il a déploré la scène: «Je les comprends d'être choqués. Mais là, mettre le feu aux véhicules des gens, ça, je ne suis pas d'accord.»

Une vraie émeute, donc. J'ai couvert celle du printemps au centre-ville, après l'élimination des Bruins par le Canadien. Celle d'hier n'avait rien à voir. L'émeute de Montréal-Nord n'avait rien de festif. Il flottait un fond de hargne un peu partout dans le quartier.

J'écris ce texte à 1h du matin, non loin du coin des rues Langelier et Maurice-Duplessis. Les commerces étaient pillés. Des coups de feu, entendus par mon collègue Hugo Meunier, ont poussé les policiers à battre en retraite dans ce secteur. D'ailleurs, une policière a reçu une balle à la jambe pendant la soirée. Voici ce que j'ai vu.

J'ai vu, coin Pascal et Roland, les voitures personnelles des pompiers brûler, à côté de leur caserne. J'ai entendu les réservoirs d'essence exploser à quelques reprises. Les gens applaudissaient.

Je n'ai pas vu mon collègue photographe Robert Skinner manger des taloches et se faire voler son équipement.

J'ai vu des voitures de citoyens bien ordinaires se faire lancer des pierres et des bouteilles, rue Langelier.

J'ai vu des ti-culs défoncer des vitrines de commerces de la rue Léger et en sortir avec des vêtements dans les bras.

J'ai vu les crétins qui ont commencé à s'en prendre à cette fourgonnette, dans le stationnement du magasin Flamme du dollar. J'ai entendu le pare-brise exploser quand un gars a sauté à pieds joints sur le toit.

Débile quand même, non? S'en prendre à l'auto d'un gars qui n'a rien demandé à personne, qui est peut-être aussi fâché que tout le monde contre la police!

Bon, peut-être pas tout le monde. Mais bien des gens. Et de toutes les couleurs, n'allez pas penser que ce sont seulement des Noirs qui sont furieux contre la police. Hier, j'ai vu des mères de famille blanches envoyer promener les flics.

Et, dans un bel esprit de police communautaire, j'ai vu une dame se faire tabasser à coups de bouclier et de matraque, au coin d'une rue qu'elle n'avait pas eu le temps d'évacuer, quand les policiers ont chargé.

Un grand Black a protesté. «C'est notre quartier, a-t-il lancé aux policiers. On va s'en souvenir!» Puis, aux citoyens médusés, et je ne parle pas de casseurs, je parle de citoyens ordinaires venus regarder le chaos, il a lancé: «C'est VOTRE quartier! N'ayez pas peur!»

Plus tard, beaucoup plus tard, pendant que la fourgonnette flambait, des policiers casqués ont nargué les citoyens qui regardaient la scène: «C'est votre quartier, ben allez chercher les boyaux d'arrosage, ça brûle!»

Bravo, constables, bravo!

Flics et citoyens, ici, avaient une relation houleuse. Depuis hier, l'affaire est entendue, ça ne va pas s'améliorer, disons.