Les conservateurs, de leur propre aveu, ont connu un mauvais été. Les libéraux, au contraire, disent avoir retrouvé le moral. Voilà pour les perceptions. La réalité, toutefois, est complètement différente, selon notre plus récent sondage CROP.

Après l'été difficile qu'ont connu les conservateurs, en particulier ces dernières semaines à cause des coupes en culture, on aurait cru que le parti de Stephen Harper aurait perdu des plumes. Pas du tout. Le taux de satisfaction des électeurs québécois envers le gouvernement Harper est en hausse de six points de pourcentage par rapport à juin et son parti prend la tête dans les intentions de vote (par un mince point, mais tout de même) devant le Bloc pour la première fois depuis juin 2006. Les bleus font aussi un bond de six points auprès des électeurs francophones, à 31%, quatre points seulement derrière le Bloc.

Les nouvelles sont aussi bonnes pour les conservateurs qu'elles sont mauvaises pour le Bloc québécois. Quant aux libéraux, le sondage est à l'image de l'été qui s'achève: gris. Le parti de Stéphane Dion, malgré ses valeureux efforts ces derniers mois et son grand pari vert, n'arrive pas à dépasser les 20% d'intentions de vote.

Nous en sommes donc, au Québec, à 20% pour les libéraux, 30% pour le Bloc, 31% pour les conservateurs et le NPD à 14%. Par rapport aux dernières élections de janvier 2006, les libéraux perdent un point, le Bloc douze points et les conservateurs en gagnent six.

Si vous vous demandiez pourquoi Stephen Harper est si pressé de partir en campagne, quitte à renier sa propre loi sur les élections à date fixe, vous trouverez dans ces chiffres une bonne partie de l'explication. Les conservateurs, qui font aussi des sondages, ont vu l'éclaircie.

Ce sondage CROP confirme que le Québec sera le principal champ de bataille de la prochaine campagne et les troupes de Stephen Harper sont en excellente posture pour faire des gains.

Chez les bleus, on affirme qu'entre 10 et 20 circonscriptions sont «prenables» au Québec, principalement dans la grande région de Québec et dans le centre du Québec. Le CROP les place aussi en bonne position dans le 450, aux portes de Montréal.

À l'aube d'une nouvelle campagne électorale, ce sondage cache une autre conclusion pour le moins paradoxale: le meilleur ami de Stéphane Dion en ce moment, c'est Gilles Duceppe! Si les conservateurs percent la muraille du Bloc en région, ils gardent le pouvoir, peut-être même majoritairement.

Avec 16% d'appuis chez les francophones, les libéraux restent marginaux au Québec, ils ont donc besoin d'un Bloc en santé. Or la radiographie prise par CROP ces derniers jours démontre que le Bloc souffre d'une lente mais certaine érosion du vote, ce qui est aussi inquiétant pour Gilles Duceppe que pour Stéphane Dion.

Il faut toujours prendre les sondages d'été avec un grain de sel, répliqueront les libéraux et les bloquistes. Vrai, les électeurs sont moins attentifs l'été. Justement, bonne raison pour M. Harper de déclencher des élections rapidement.

Ce n'est pas la seule raison, il y en a au moins quatre autres, tout aussi bonnes:

1- Le piètre état de préparation des libéraux

Malgré la belle assurance de façade de Stéphane Dion, son parti est loin d'être prêt à partir en campagne, en particulier au Québec. D'abord, il manque encore une vingtaine de candidats. Ensuite, les rares militants qui restent sont totalement démobilisés. Des commissions du PLC-Québec qui devaient se réunir pendant l'été pour préparer les élections ont dû annuler leurs rencontres, faute de participants. Quant aux députés, ils sont résignés. Pas motivés, résignés, nuance importante. Ce sera donc chacun pour soi et la seule possibilité réelle de gain se trouve dans Papineau, où Justin Trudeau pourrait battre la bloquiste Vivian Barbot. Ailleurs au pays, les libéraux sont encore solides en Ontario, mais ils doivent se méfier du NPD sur leur flanc gauche. Ils pourraient aussi perdre deux ou trois sièges dans les Maritimes. Côté fric, les conservateurs partent avec un net avantage. Les libéraux ont du mal à s'ajuster aux nouvelles règles de financement et les efforts faits cet été pour réduire la dette de leur chef ont nui à la campagne de financement du parti.

2- Cacher les affaires embarrassantes

Roulant à vide depuis plusieurs mois déjà, les conservateurs sont en train de se faire encercler tranquillement par quelques histoires embarrassantes, notamment l'affaire Schreiber-Mulroney et les allégations de financement illégal. La meilleure façon de pousser tout ça sous le tapis pour un moment, c'est de déclencher des élections. Il y a une affaire que M. Harper ne contrôle pas toutefois: la sortie prochaine du livre de Julie Couillard. Chez les conservateurs, on s'inquiète déjà de voir l'ex-petite amie de Maxime Bernier débarquer en pleine campagne électorale.

3- L'économie, toujours l'économie

Pour le moment, on parle beaucoup de ralentissement économique (l'Ontario est officiellement en récession), mais ce n'est pas encore le marasme. Rien n'indique que la situation s'améliorera dans les prochains mois et retarder les élections, pour le gouvernement, c'est risquer de se retrouver en campagne dans un contexte beaucoup plus difficile.

4- L'élection américaine

Si la droite se prend une claque aux États-Unis à l'élection présidentielle du 4 novembre, c'est mauvais signe pour les conservateurs. Bien sûr, Stéphane Dion n'est pas Barack Obama, mais les conservateurs craignent néanmoins que le vent de changement qui pousse le candidat démocrate traverse la frontière. Encore là, les chiffres de CROP expliquent l'empressement de M. Harper. Quand on demande aux Québécois qui ferait le meilleur premier ministre, il obtient 35% contre seulement 15% pour Stéphane Dion.