Trente-deux morts en deux semaines. Le carnage routier «made in Québec» se poursuit.

J'entendais le flic de la SQ faire le sinistre bilan des vacances de la construction, lundi, à la radio. Principal suspect dans la plupart des tragédies, disait-il: la vitesse.

Quand même, 32 morts, en deux semaines, ça frappe l'imaginaire. L'an dernier, ce fut 18. Même Jean Charest a été estomaqué. Pensant au désespoir des familles des victimes, le premier ministre a eu ces paroles, dimanche: «Il y a un problème de culture dans la conduite automobile au Québec.»

Un «problème de culture»: c'est l'évidence. Mais c'est l'évidence depuis des années. Au Québec, on se tue davantage qu'ailleurs sur les routes. Dans les pays où la sécurité routière est prise au sérieux, le taux de mortalité oscille autour de 6 par 100 000 habitants. C'est le cas des pays scandinaves, par exemple. Des Pays-Bas. De la Grande-Bretagne.

Au Québec? Il est généralement de 9 par 100 000. Exception, l'an dernier: 8 par 100 000, alors que «seulement» 608 personnes sont mortes sur nos routes.

Ah, froidement, comme ça, on se dit que ce n'est rien, un écart de deux, trois morts par 100 000 habitants. Sauf que dans les faits, c'est énorme.

Richard Bergeron, chef du parti municipal Projet Montréal, a écrit Les Québécois au volant, c'est mortel, il y a quelques années. En ne s'attaquant pas aux cowboys du volant, écrivait Bergeron, le Québec accepte une «prime à la mortalité routière».

Cette «prime», c'est l'écart entre le 6/100 000 des Scandinaves et le 9/100 000 des Québécois.

C'est, tenez-vous bien, 200 morts de trop. Et 19 000 blessés.

Le radar photo

Je ne revendique pas le risque zéro (quoique les Suédois en ont fait leur objectif, en 1997). Je sais que c'est impossible. Je revendique bêtement les mêmes chances (moindres) de mourir sur la route qu'un Suédois

Le premier ministre Charest parle donc d'un problème de culture.

Bien sûr. Mais il y a au Québec un autre problème, qui facilite grandement la débilité au volant: le manque de courage des élus.

Les élus québécois, de tous les partis, savent très bien comment dégonfler notre prime nationale à la mortalité routière.

Ils le savent parce que ce ne sont pas des imbéciles. Ils parlent aux experts. Ils parlent à leurs fonctionnaires. Les élus connaissent le dénominateur commun des pays qui prennent la sécurité routière au sérieux, pays qui affichent les meilleurs bilans routiers.

Ils savent que ce dénominateur commun, c'est le radar photo.

Beaucoup, beaucoup de radars photo, en fait. Ils savent aussi que la France a vu son bilan, traditionnellement dramatique, s'améliorer de façon spectaculaire quand on a décidé d'installer un réseau de radars photo à la grandeur de l'Hexagone, en 2002.

Nos élus savent tout ça. Ils savent que le radar photo sauve beaucoup, beaucoup de vies. Ils savent que recevoir un ticket par la poste a un effet magique, celui de rendre le pied des automobilistes beaucoup, beaucoup plus léger.

Pourquoi, alors, n'y a-t-il pas des centaines de radars photo, au Québec, sur nos autoroutes, sur nos boulevards, sur nos routes rurales?

«Pur manque de courage politique», répond Guy Paquette, prof à l'Université Laval et spécialisé en sécurité routière.

Nos élus, dans l'opposition, torpillent l'idée de radars photo. Une fois au gouvernement, ils voient le bilan, entendent les experts et jonglent avec l'idée. Là, bien sûr, c'est l'opposition qui dénonce le gouvernement

Oui, bon, la Table de concertation sur la sécurité routière a accouché de ces 15 zones où on installera des radars, récemment. En Finlande, note Guy Paquette, il y en a 2500.

Du plus haut niveau

On dira que l'État n'agit pas. Mais blâmer l'État, c'est trop flou. C'est comme blâmer la «culture» du volant.

En matière de lutte contre la délinquance routière, c'est le chef d'une société qui décide, c'est le chef qui impose les décisions impopulaires. Dans son livre, Bergeron relate qu'en France, le réseau de radars photo a été imposé par une personne: le président Chirac lui-même.

On estime qu'en parrainant le système de radars photo en France, Jacques Chirac a sauvé 8000 vies et évité 100 000 blessés, dans son second mandat. Notez que la décision venait d'en haut. Pas d'un ministre. Pas d'un chef d'agence. Du président.

Bref, tant que le chef d'une société ne fait pas de l'amélioration du bilan routier une affaire personnelle, rien ne bouge. On reste au stade des pubs de sensibilisation sanguinolentes et culpabilisantes.

Or, qui est le chef, ici, au Québec?

Il s'appelle Jean Charest.

Le premier ministre se dit consterné par tous ces drames, ces vies déchirées. Je le crois.

Mais en matière de sécurité routière, les Québécois ont davantage besoin de ses couilles et de son leadership que de sa compassion.