Chengzhi Lin - «appelle-moi Lin, l'autre nom est trop compliqué» - tient un dépanneur à environ 100 mètres de chez moi. Parfois nous bavardons de politique, d'enfants, de Chine, de Jeux olympiques...

Lin a d'autres petites entreprises, dont une en décoration, et le plus souvent, c'est sa femme qui tient boutique. Elle est la plus souriante et la plus drôle des Chinoises. À elle seule, elle vous réconcilie avec les airs bêtes qui vous accueillent dans le Quartier chinois.

Et j'adore ses enfants, un garçon et une fille de 12 et 8 ans, les plus allumés du quartier, à mon avis. L'air frondeur juste assez, la réplique vive

Les enfants, qui sont nés à Montréal, parlent québécois, mandarin et un peu d'anglais. Les parents parlent anglais, mandarin et un peu de français. Les enfants servent souvent d'interprètes.

Quant aux grands-parents, les beaux-parents de Lin, qui sont très discrets, ils parlent le mandarin. «Ils sont vieux», dit notre homme.

Il y a quelques jours, Lin m'a invité à une conférence de presse. Notre dépanneur est un dissident engagé, membre d'une diaspora qui dénonce les violations des droits de l'homme en Chine.

Rue Panet hier, pour nous recevoir, il y avait Lin, membre d'une coalition d'enquêteurs sur les violations des droits de l'homme, Francis Madore, représentant un groupe de défense des droits de l'homme et Shen Yue, un jeune homme dans la vingtaine qui nous a parlé de sa mère, toujours emprisonnée et souvent torturée quelque part dans le «goulag» chinois.

Date cruciale: le 25 juillet 1999, le gouvernement communiste de Chine déclare le mouvement Falun Gong ennemi du peuple. Les persécutions débutent. Mais Lin est déjà à Montréal, ayant immigré en 1991.

Le Falun Gong, semblable (un peu) au yoga de notre jeunesse, soigne le physique et le spirituel. (Je pense que le yoga de nos jours est devenu un simple exercice physique à la Pilates)

Les adeptes du Falun Gong - pratiqué par des politiciens, policiers, professeurs et simples citoyens avant 1999 - se disent apolitiques, mais refusent de se laisser contrôler par l'État. Ils forment la majorité des prisonniers politiques.

Ils sont 100 000 en Chine et se retrouvent, souvent sans accusations formelles, dans des prisons-usines, à fabriquer, sans salaire, des objets que nous achetons tous les jours à Montréal.

Jouets, ballons, briquets «Quand le temps des Fêtes approche en Occident, la police chinoise effectue une razzia parmi les pratiquants du Falun Gong. On les place dans des usines pour répondre à notre demande de boules et de lumières de Noël»

Si vous suivez ce qui se passe en Chine depuis quelques années, vous connaissez toutes ces histoires d'horreur, incluant celle des vols d'organes - ceux des mêmes prisonniers - qui devient un marché lucratif.

Lin et ses amis avaient préparé une série de conseils, de cartes et de suggestions pour les journalistes occidentaux qui se rendront aux Jeux olympiques. «Près de certains sites olympiques se trouvent des camps du goulag. Nous disons aux journalistes exactement où ils sont pour qu'ils aillent voir et dénoncent. Nous avons une méthode pour déjouer le barrage de l'Internet installé par le gouvernement chinois. Un simple appareil à installer dans votre ordinateur»

Bon, le message sera fait, Lin, les documents seront remis aux collègues, en souhaitant qu'ils ne se retrouvent pas en prison...

Lin hausse les épaules en souriant. «Ils doivent suivre ce que leur dit leur conscience» Notre ami est un pratiquant de Falun Gong.

J'adore les enfants de Lin, même s'ils m'envoient carrément promener quand je les taquine

«Mes enfants sont très tannants. Ils ne veulent jamais étudier. C'est important, l'instruction!

«Mon fils entre à l'école secondaire l'an prochain. Je l'ai amené avec moi pour une séance d'études intensives avant qu'il aille passer les examens. Il a finalement été accepté au collège Notre-Dame, mais refusé à Jean-Eudes et Brébeuf, les deux meilleures écoles. Je lui ai dit que s'il avait étudié comme il le fallait toute l'année, il aurait été accepté partout.

«Je suis allé rencontrer un de ses professeurs et je lui dis de punir mon fils s'il ne travaillait pas bien. Le professeur a refusé en me disant qu'il y en avait des pires que lui. Je lui ai répondu qu'il encourageait mon fils à la paresse.

«Maintenant, mon fils a demandé à sa mère de l'envoyer dans une colonie de vacances. Il veut prendre des vacances de moi»

Bienvenue au pays des petits rois et des petites reines, M. Chengzhi Lin.

Est-ce que notre ami dépanneur s'ennuie de la Chine, où il a vécu jusqu'à ses 19 ans?

«Je m'ennuie de la Chine traditionnelle, celle du respect des aînés, de la compassion et de la tolérance. Mais pas de la Chine communiste»