Le canoïste de Pointe-Claire Thomas Hall s'est classé hier troisième de la finale du 1000 mètres en C-1 et on ne trouvera pas, dans tous ces Jeux, médaillé de bronze plus comblé que Tom, au point qu'on se surprenait à penser qu'une médaille d'or ou même d'argent eût été trop pour ce garçon modeste.

De toute façon, ce n'est pas une histoire de médailles. C'est une histoire d'amitié. C'est une histoire de sport toute simple. Une fois c'est un gars et son copain devenu son entraîneur. Le gars a dû se battre comme un chien pour mériter son billet pour les Jeux. Finalement il y va. Monte sur le podium et lui et son copain s'en trouvent si heureux, si pleins de bonheur qu'ils en mettent partout. Nous voilà soudain moins fatigués. Soudain recentrés ah oui c'est vrai, c'est ça le sport du bonheur. Un miroir que nous tendent des Christine Girard, des Thomas Hall, un miroir dans lequel on n'aime rien tant que se voir jeunes comme eux, authentiques, heureux.

Dans la tribune de presse j'étais assis entre deux confrères Hongrois fébriles. Je leur montre la feuille de départ, qui va gagner?

Ils pointent le Hongrois et l'Espagnol lui ou lui.

Et lui? Je pointe Thomas Hall. Connaissent pas. Ils me pointent plutôt le Ouzbek pour finir troisième.

Le départ est donné. On ne voit rien évidemment. Un kilomètre c'est loin. L'aviron, le canot, le kayak, comme aussi le cyclisme sont des sports qu'il faut suivre à la télé... même quand on se rend sur place. L'intérêt de s'y rendre est de sortir de Pékin. Le bassin est à Shunyi, à une bonne soixantaine de kilomètres, on finit par arriver en campagne, une campagne quadrillée de chemins droits comme la ligne du parti, qui filent à travers des champs de maïs et des vergers. De temps en temps une ferme isolée, la machinerie dans la cour est aussi moderne que chez nous. Encore beaucoup de vélos sur les routes, je m'ennuie soudain du mien. Il fait une journée magnifique, le ciel est presque bleu, au loin se profilent les contreforts de la grande Muraille.

Un coup d'oeil à la télé, la course ne se déroule pas du tout comme les Hongrois me l'avaient annoncée, leur compatriote est à la queue, le Ouzbek et l'Espagnol mènent la charge, Hall grignote des places, 5e, 4e, de toute façon tout se joue dans les derniers 200 mètres, le Hongrois remontera tout le monde, l'Espagnol second, Thomas Hall troisième.

«On savait que le Hongrois et l'Espagnol seraient hors de portée, on s'était donné comme objectif de garder le contact avec les suivants», c'est l'entraîneur Michael Creamer qui raconte, je vous ai dit que c'était une histoire d'amitié, l'ami c'est lui. À peine deux ans plus vieux que Tom, ils ont été coéquipiers en C-2.

On n'aurait pas trouvé dans tout Pékin hier athlète plus heureux que Tom et Michael. Tom a qualifié le canot canadien en mai aux sélections panaméricaines à Montréal, mais il lui restait à affronter, en un combat singulier de trois manches. son coéquipier Mark Oldershaw. Duel déchirant, douloureux, qu'il a fini par remporter.

«Cet affrontement a permis à Tom de changer de niveau, cette médaille est un peu celle de Oldershaw», analyse Mark Kreamer. L'ironie de la chose c'est que Oldershaw qui s'était qualifié sur 500 mètres en C-1 ne fera pas la finale du 500 aujourd'hui.

À la conférence après la remise des médailles, à une question sur le sens qu'il donnait à tout ça, Hall a répondu que la proposition du sport était toujours la même se fixer un but, l'atteindre, les moyens qu'on se donne pour l'atteindre, la confiance en soi, en son entraîneur, dans mon cas ajoutez la patience j'ai attendu longtemps mon tour.

Avant de nous laisser, Hall s'est inquiété d'Adam van Koeverden, qui s'était écroulé dans la course précédente, van Koeverden leur modèle à tous on me dit qu'il s'est excusé? Il n'aurait pas dû. C'est mon idole, il a fait tant pour notre sport que c'est à nous de le remercier pas à lui de s'excuser.

L'impensabl

On avait tous préparé notre titre d'avance. «Et de une!» dirait sobrement le mien. Il était assuré qu'Adam van Koeverden remporterait deux médailles à ces Jeux. Une vendredi (hier) et une samedi (aujourd'hui). Y'avait-il encore un Canadien au Canada pour l'ignorer? Même les gens qui ne font pas la différence entre une chaloupe et un kayak savaient ça van Koeverden, deux médailles à Pékin.

Au pire une d'or et une d'argent dans le 1000 mètres. Au pire! En fait on savait très bien que ce serait deux d'or. Van Koeverden ne protestait pas, ne disait pas «Vous me mettez la pression, les gars». Il disait au contraire: «La pression, j'en mange tous les matins à mon petit déjeuner.» Il se défendait d'être arrogant. Et au fait, il ne l'était pas. Un modèle de lucidité «Je m'entraîne pour gagner, je gagne, et je vais gagner à Pékin.»

Pourquoi en aurait-on douté? N'avait-il pas livré la marchandise à Athènes avec une médaille d'or et une de bronze. On parle ici du meilleur kayakiste au monde, du champion du monde, un garçon qui n'a pas perdu un seul 500m depuis Athènes. Un poil moins dominant au 1 000 m, c'est pour ce poil-là qu'on se gardait une gêne au pire une médaille d'argent.

Et le pire était en train de se produire. Van Koeverden passait second aux 250 mètres, second encore aux 500 mètres, second toujours aux 750 mètres derrière l'Anglais Tim Brabants. On attendait la poussée finale du Canadien, elle ne venait pas. Tant pis, ce serait donc l'argent.

C'est à ce moment qu'il a cassé. Complètement. Les journalistes sont restés pétrifiés. Ce ne serait pas l'argent, ce serait rien. L'impensable arrivait. Van Koeverden s'écroulait. J'ai vu la chose arriver souvent au vélo, dans les grandes étapes de montagne, soudain un coureur n'avance plus, on dit alors «qu'il est à pied». Van Koeverden était à pied.

Le classement s'est affiché au tableau électronique. Huitième!

Van Koeverden était encore en état de choc quand il s'est présenté devant les journalistes dans la zone mixte.

Il s'est excusé. Je ne comprends pas. «Je n'ai pas d'explications. Soudain je n'avançais plus. Ils m'ont tous passé sauf un. Ces gars-là ne m'ont jamais battu. Je n'arrêtais pas de me dire mais qu'est-ce qui t'arrive? J'étais dans un cauchemar. J'allais me réveiller et en rire... mais vous êtes là et je ne me réveille toujours pas.»

Le cauchemar se prolongera-t-il aujourd'hui dans le 500 m? Ce n'est plus une question de médailles.

Une autre défaite d'Adam van Koeverden toucherait le Canada au coeur.

Mais je suis d'accord avec Thomas Hall qui disait tantôt que van Koeverden n'aurait pas dû s'excuser.

La défaite n'est pas quelque chose dont on doit s'excuser. Ce sont plutôt les vainqueurs qui devraient s'excuser de gagner. C'est bien sûr un looser qui parle.