Montréal n'a rien à envier à Barcelone. C'est ce qu'a affirmé le ministre Raymond Bachand lors du dévoilement des maquettes de la future place du Quartier des spectacles. À une chaise de lui, le maire Gérald Tremblay a opiné du bonnet avant d'ajouter avec un optimisme délirant que, bientôt, les gens viendraient du monde entier pour voir cette place qui ne serait pas tant une place qu'une référence architecturale aussi forte que la Via Veneto - un coup parti, pourquoi pas la tour Eiffel, la muraille de Chine et la Grande Mosquée de Hassan II?

J'ai beau être une Montréalaise attachée à cette ville où j'ai vécu pratiquement toute ma vie, je ne trouve pas que c'est rendre service à Montréal que de lui prêter des attributs qu'elle n'a pas au nom d'un positivisme dénué de crédibilité qui en fait une candidate ridicule à un concours de beauté dérisoire.

Que Raymond Bachand le veuille ou non, Montréal a beaucoup de choses à envier à Barcelone. En commençant par l'architecture, qui est encore bien pâle à Montréal alors qu'elle explose à Barcelone depuis le Moyen Âge, qu'elle a continué à exploser pendant toute la durée de la Renaissance avant de sauter à pieds joints dans le modernisme avec le maître catalan Gaudi.

Des places comme celle du Quartier des spectacles, Montréal en aurait besoin d'une bonne centaine avant de commencer à pouvoir faire de l'ombre à Barcelone, à ses places fleuries de magnolias et de palmiers, à ses ramblas en front de mer ou à sa Sagrada Familia, magnifique pièce montée en forme de cathédrale.

Mais Barcelone n'est pas qu'une référence en architecture ou LA capitale européenne branchée par excellence. C'est une ville méditerranéenne. L'hiver, il fait en moyenne 13 degrés Celsius. Pas -400. Au plus creux de février, alors que les Montréalais vivent roulés en boule devant le foyer de leur téléviseur, les Barcelonais marchent dans leur ville, mangent sur les terrasses chauffées et flânent sur les places où les allées ne sont pas des patinoires et les fontaines, des sculptures de glace.

Le grand défi de la place du Quartier des spectacles, qui ouvrira en principe en juin 2009, se situe précisément là: dans sa résistance aussi bien physique que morale à l'hiver. Et qu'on ne vienne pas me dire, comme l'a fait le maire, que le Festival Montréal en lumière va tout régler ça en un coup de cuillère. Montréal en lumière dure deux courtes semaines. L'hiver montréalais, six longs mois. Autant dire qu'il va falloir déployer des trésors d'ingéniosité pour que la dépression et le vandalisme ne viennent pas ronger le coeur et les artères de la place alors que l'hiver s'éternisera.

Les gens de la firme Daoust Lestage, qui signe cette place et à qui l'on doit la magnifique place Jean-Paul-Riopelle au coeur du Quartier international, en sont conscients. C'est pourquoi ils ont décidé d'ajouter un bouquet de 250 fontaines dont les jets jailliront directement du sol. Ces fontaines, qui vont virer au rouge la nuit comme autant de rideaux de théâtre, se sont imposées en cours de route comme décor, mais surtout comme outil psychologique pour freiner le vandalisme.

Selon Réal Lestage, les grandes plateformes dures et nues au coeur des villes modernes sont davantage victimes de vandalisme que les parcs ou les autres lieux publics remplis de végétation ou d'édifices. Ces fontaines aux racines souterraines agiront donc comme garde-fou, sauf l'hiver, où elles seront fermées. Ce qui nous ramène au noeud du problème: l'hiver.

Mais ne soyons pas mauvais joueurs. Même à - 400 degrés Celsius, sans personne sauf des chiens sans médaille pour l'animer, cette place demeure l'emblème d'un réel renouveau et le signe que, même si Montréal n'est pas Barcelone, on ne peut empêcher un coeur d'aimer ni une ville de rêver.

Sur ce, chers amis, je vous souhaite un bel été plein de places ensoleillées et de fontaines fraîches. On se retrouve à la mi-août. Hasta la vista.