Vous souvenez-vous du film Les aventuriers du timbre perdu, il y a 20 ans? Véronique Chalifoux, elle, s'en souvient. C'est ce qui explique sa présence à Pékin depuis l'hiver dernier.

«Ils voyageaient sur un timbre et débarquaient en Chine, se rappelle-t-elle. J'ai toujours cherché à en savoir plus par la suite.»

Ses travaux scolaires, tant au primaire qu'au secondaire, c'est donc sur cet empire du Milieu qu'elle les a faits, raconte-t-elle, un peu gênée, à table avec trois collègues, également venus à Pékin apprendre le mandarin.

Il y a Lorena Veillette, Thomas Laforest et le doyen, Laurent Dubois, 60 ans. «Quand j'avais 6 ou 7 ans, on achetait des petits Chinois, dit l'ingénieur retraité. Maintenant, ça me fascine de voir comment ils peuvent construire le barrage des Trois-Gorges et nourrir 1,4 milliard de personnes.»

«Comme la population de la Chine, c'est à peu près le cinquième de la population mondiale, ça peut servir», poursuit Véronique, qui vient de terminer un baccalauréat en communication politique à l'Université de Montréal.

Lorena, elle, ce qui la fascine, ce sont les langues en général. Mais il ne faut pas que ce soit trop facile. «Ma mère est mexicaine. Je n'avais aucun intérêt à apprendre une autre langue latine. Et comme ça prend 15 ans pour être fonctionnel en chinois, c'est mieux de commencer le plus tôt possible.»

Quant à Thomas, à 23 ans, il ne se trouvait pas très crédible pour commencer à travailler comme ingénieur civil. Il a donc sauté dans un train en Europe avant d'arriver à Pékin, où il apprend le mandarin. L'an prochain, il suivra des cours de génie à l'Université Qinghua. Par la suite, il veut travailler au Canada. Et il espère que son mandarin lui permettra de décrocher des contrats à l'étranger.

Le cas de ces quatre Québécois est loin d'être unique. Le nombre de liuxuesheng, comme on appelle les étudiants étrangers qui débarquent en Chine, est en progression constante. En 2007, il a atteint un nouveau record, à 195 000 personnes, en hausse de 20% sur 2006. Leur nombre a presque triplé depuis 2003. Les trois quarts viennent de pays asiatiques. Il y a aussi plusieurs fils et filles d'émigrés chinois, qui veulent apprendre le mandarin maintenant qu'il devient la lingua franca de la région.

Entre la Chine où ils vivent et l'image qu'en ont leurs proches, les quatre Québécois trouvent qu'il y a un fossé énorme. «J'ai même une amie qui m'a engueulée parce que je m'en venais ici», lance Lorena. «Tout le monde a peur de la Chine, c'est perçu comme un gros monstre», poursuit Véronique.

Un gros monstre? Oui, à cause de la question du Tibet, des manifestations de la place Tiananmen, de la Révolution culturelle ou des droits de la personne. Même si la liste est longue, les quatre admettent qu'il est encore difficile d'aborder ces sujets avec leurs amis chinois.

Mais quand des amis québécois abordent la question avec eux, ils deviennent quasiment des ambassadeurs de la Chine. Thomas voit même des avantages à ce pays où la dissidence est une denrée rare, voire volontairement raréfiée : «Notre liberté d'expression a un prix, c'est peut-être d'avancer moins rapidement... Ici, ils n'en vivent pas plus mal pour autant.»

Lorena, la plus critique du groupe, s'empresse d'ajouter : «Oui, mais ils ne connaissent rien d'autre.»

Véronique y voit une forme d'évolution normale, qui prend du temps. «Vous savez, au Canada, il y a 50 ans, on n'était pas si évolué que ça.»

Laurent Dubois en sait quelque chose. Sa réplique est toute prête : «Moi, j'ai vécu personnellement la crise d'Octobre en 1970. On a déclaré les mesures de guerre et suspendu les lois...»

Décidément, les discussions s'annoncent longues à leur retour au Québec.