Ce que ces images vidéo d'Omar Khadr changent? Sur le fond, rien, comme l'a noté placidement Stephen Harper la semaine dernière.

Mais cette vidéo nous ramène cinq ans en arrière. Elle fait apparaître un corps, une voix et une détresse d'adolescent. Ce corps, cette voix, cette détresse remontent à la surface d'un débat qui avait l'air un peu théorique. Et tout ceci place la question dans une perspective moins humanitaire et plus humaine.

Je veux dire : moins dans les instruments internationaux de défense des droits et plus dans leur très concrète et navrante raison d'être.

Pénible, d'entendre ce garçon de 16 ans, arrêté 6 mois plus tôt en Afghanistan, quand il en avait 15, brailler et sangloter longuement, dans la solitude de sa cellule. «Aidez-moi! Aidez-moi!» On a l'impression qu'il ajoute «Tuez-moi!» mais le micro est caché dans la bouche de ventilation et on entend mal.

Plus pénible encore d'apprendre que le gouvernement canadien entend demeurer le seul dans le monde occidental à ne pas exiger le rapatriement de tous ses citoyens détenus à Guantánamo – le seul Canadien étant Khadr.

Honte au gouvernement canadien, signataire de conventions internationales sur les droits des enfants, sur l'utilisation des enfants dans les conflits armés, sur la torture. Honte à ce gouvernement qui n'est pas même capable de demander aux États-Unis de renvoyer Khadr ici, pour qu'il soit jugé correctement. Non pas blanchi, mais jugé.

Le procès devant la «commission militaire» américaine spéciale a été fixé au mois d'octobre, mais après que le premier juge se fut éclipsé sans donner de raison. Même d'anciens procureurs militaires dénoncent ces commissions. Quant à la preuve, elle semble loin d'être concluante. Alors qu'on tenait pour acquis que Khadr était le seul survivant d'une attaque de l'armée américaine contre un groupe de talibans en Afghanistan, et donc le seul ayant pu envoyer une grenade mortelle (il est accusé de meurtre), on a appris par une fuite involontaire cet hiver qu'il y avait un autre suspect.

Il n'y a pas de doute qu'Omar Khadr est le fils d'un fanatique, mort au combat pour Al-Qaeda, en 2002. Il n'y a pas de doute qu'à 15 ans, il a été entraîné par le cercle familial à se battre auprès des talibans. C'est la définition même de l'enfant-soldat, mobilisé plus ou moins de force, à qui en tout cas on ne peut prêter le même degré de responsabilité.

Déjà que les pays occidentaux ont réclamé le rapatriement de leurs ressortissants adultes; s'agissant d'un enfant ayant purgé six ans de détention, l'inaction du gouvernement canadien est tout simplement inadmissible.

Soit dit en passant, c'est sous le gouvernement libéral que Khadr a été arrêté, c'est sous le gouvernement libéral qu'il a passé la plus longue partie de sa détention, et c'est sous le gouvernement libéral qu'il a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité, après trois semaines où les autorités américaines l'ont réveillé toutes les trois heures pour le faire craquer. Alors malgré la position de principe honorable que tient Stéphane Dion depuis longtemps, son ancien gouvernement n'a pas de médaille à recevoir à ce chapitre.

Même la Grande-Bretagne réclame la fermeture de la prison de Guantánamo, où sont encore détenus 265 «ennemis combattants» présumés (quelque 500 autres ayant été renvoyés chez eux).

Hier, sur le site de la BCC, la vidéo de Khadr était la première nouvelle. Votre gouvernement n'a pas fait bonne figure à la télé publique britannique, M. Harper.

D'un peu partout, des gens de bonne volonté se demandent ce qui se passe avec le Canada. Des gens qui avaient pris l'habitude d'admirer l'engagement du Canada pour les droits de la personne. Que se passe-t-il, au fait?

«La situation reste la même», disait Stephen Harper la semaine dernière, quand le résumé de cette vidéo a été connu.

«Il y a processus judiciaire aux États-Unis. M. Khadr peut présenter sa défense à son procès.»

«Nous n'avons pas de solution de rechange pour arriver à la vérité concernant ces accusations, a poursuivi M. Harper. Nous pensons que ce processus doit continuer.»

D'abord, la légalité du processus américain est pour le moins douteuse. La Cour suprême américaine, par trois fois, a critiqué l'utilisation de cette base militaire et du processus qui entoure les «ennemis combattants». Ensuite, il y a des solutions de rechange. Soit en le jugeant ici, soit en arrêtant le processus, vu le temps passé, vu son âge au moment du conflit, vu la qualité et les moyens d'obtention de la preuve.

Il n'y a pas d'excuse pour ne rien faire, et le monde entier est au courant, M. Harper.

On ne vous en demande pas tant que ça. Une simple requête aux États-Unis. Un simple geste d'humanité.

Une erreur

Dans mon texte de vendredi dernier sur cette femme séropositive condamnée pour avoir eu une relation non protégée, j'ai écrit que son conjoint avait été acquitté de voies de fait à ses dépens. Erreur. Il a obtenu une absolution, ce qui est très différent : il a été déclaré coupable de gestes de violence envers elle et son enfant, mais été «absous» au moment de la sentence, ce qui signifie que son casier disparaîtra un jour. Mes excuses.