«Vous ne pouvez pas dire que ce n'est pas beau », a fièrement lancé le maire Gérald Tremblay, en dévoilant la maquette de la première phase du Quartier des spectacles.

Il a raison. On ne peut pas dire que ce n'est pas beau. Le projet de 120 millions qui revampera une partie du centre-ville de Montréal en est un prometteur. D'autant plus qu'on prévoit même en livrer la première phase à temps pour l'été prochain. Mais de là à dire, comme le dit le maire, que des gens viendront «du monde entier» pour voir notre fabuleux Quartier des spectacles, il y a de quoi rester sceptique.

Il fallait entendre hier l'avalanche de superlatifs utilisés en conférence de presse pour qualifier le réaménagement du quadrilatère des festivals. Un projet d'une « beauté exceptionnelle », un « miracle », une « grande signature » qui s'inspire de la « Via Veneto de Rome » et qui montre bien que Montréal « n'a rien à envier à Barcelone » ... Dans 10 ans, si vous avez une seule heure à Montréal avec un visiteur de l'étranger, vous l'emmènerez dans le Quartier des spectacles, a même prédit le ministre Raymond Bachand.

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Vraiment ? On s'en reparlera dans 10 ans, si vous le voulez bien. Avant que j'emmène mon touriste d'une heure faire un tour de bloc devant le complexe Desjardins ou près de l'ancien Spectrum transformé, qui sait, en magnifique Best Buy, les nids-de-poule auront peut-être des dents.

À entendre le maire, la ministre de la Culture et le ministre du Développement économique, on avait l'impression hier que l'on annonçait l'avènement de la huitième merveille du monde au centre-ville de Montréal, rien de moins. À les entendre, le grand voyageur urbain de New York, Paris ou Tokyo aura sous peu un choix déchirant à faire quand il s'agira de déterminer sa prochaine destination de vacances. « Chéri, on va à Montréal ou à Barcelone ? On va se promener dans les alentours du complexe Desjardins ou de la Sagrada Familia ?

– Pourquoi on n'irait pas à Rome ?

– Rome ? Pfff... Voyons donc ! La vraie Via Veneto se trouve à Montréal maintenant. »

Ne soyons pas de mauvaise foi. Si on lui enlève ses 12 couches de superlatifs, le Quartier des spectacles reste un très beau projet, je n'en doute pas. Mais l'ennui, c'est que ce n'est qu'un parvis, pour reprendre l'expression du professeur de l'Institut d'urbanisme Daniel Gill. L'été, ce sera le parvis des festivals. Et le reste de l'année, ce sera quoi ? Un parvis de rien. Aussi beau soit-il, aussi jolies soient ses fontaines illuminées et l'oeuvre d'art monumentale qui devra y trôner, aussi soigné soit l'aménagement, cela ne suffira pas pour que Montréal soit à la hauteur de ses prétentions de métropole culturelle.

« C'est une grande salle de spectacle à ciel ouvert que l'on met en place », disait Réal Lestage, de la firme Daoust Lestage qui signe le projet. Et il ne faudrait pas que cette salle à ciel ouvert soit plus spectaculaire que le spectacle présenté sur scène, ajoutait-il.

Justement. Qu'adviendra-t-il de la salle de spectacle peu spectaculaire sous 30 cm de neige en janvier ou engloutie sous la gadoue en mars ? Quel touriste aura envie d'aller admirer des fontaines quand il fait -20 ?

Même si on nous promet que la rue Jeanne-Mance entre la rue Sainte-Catherine et le boulevard De Maisonneuve aura des allures de Via Veneto avec ses terrasses et ses vitrines animées (ce sera toujours mieux que les portes de garage actuelles), on se demande bien ce que ce sera en novembre, quand les festivals seront terminés, les feuilles tombées et les touristes partis.

Le défi, reconnaissait hier Réal Lestage, c'est qu'en dehors de la période des festivals, on ait là des espaces publics intéressants à fréquenter. Tout un défi, en effet. Qu'ira-t-on faire dans le Quartier des spectacles quand il n'y aura plus de spectacles à l'extérieur ? Comment s'assurer, comme le disait lui-même Gilbert Rozon, que ce beau projet ne soit pas juste « l'affaire de Simard et de Rozon » ?

Comment s'assurer que Montréal soit davantage dans l'esprit de Bilbao que dans celui de la culture McDo ?

C'est là un défi de taille. Et pour le moment, même si le maire promet que le Quartier des spectacles sera fréquenté été comme hiver, tous les jours, on ne peut qu'en douter. Comment allez-vous y arriver ? lui ont demandé à plusieurs reprises des journalistes hier. Les réponses restaient toujours évasives. Le maire a évoqué le festival Montréal en lumière qui a lieu à la fin du mois de février. Fort bien. Voilà qui animera le quartier pendant 10 jours l'hiver. Et le reste du temps ? On trouvera bien quelque chose, a-t-il dit. Qu'importe.

Les gens viendront parce que ce sera une « référence internationale », a-t-il répété, peu convaincant. Plus tôt, Réal Lestage avait évoqué un vague projet de patinoire extérieure réfrigérée rue Clark, ce qui semble être une bonne idée a priori. Mais n'aiguisez pas vos patins tout de suite. On en est à l'étape pré-embryonnaire. Et Montréal a l'habitude des fausses couches et des accouchements interminables.

Un beau projet, donc. Un gros défi, aussi. Et beaucoup de questions sans

réponse. En attendant la réalisation de la huitième merveille du monde qui fera pâlir Rome et Barcelone (il paraît qu'ils sont déjà nerveux), soyez gentils avec votre touriste d'une heure. Ne l'emmenez pas tout de suite sur la Via Veneto de Montréal. Il pourrait être un peu déçu.