La nuit était douce, le ciel, criblé d'étoiles, et sur les plaines d'Abraham, le Festival d'été de Québec venait de démarrer dans un grand fracas de guitares... américaines.

C'était jeudi, journée anniversaire des 400 ans de la fondation de Québec par Samuel de Champlain ou, selon le premier ministre français François Fillon, date officielle de «la naissance d'une civilisation française en Amérique». Et pourtant, s'il restait des traces de cette civilisation française, ce n'était pas sur les plaines d'Abraham qu'elles allaient se faire voir et entendre jeudi. Au nom d'une logique assez particulière, les organisateurs du Festival d'été de Québec avaient en effet décidé de confier à Van Halen, groupe américain des années 70, le soin de lancer les festivités et de donner le coup d'envoi à 10 jours de musique aux quatre coins de la ville.

Pourquoi ce groupe-là? Parce que Coldplay, U2 et les autres coûtaient trop cher ou n'étaient pas disponibles. Pourquoi ce soir-là? Parce qu'Aznavour, retenu par un engagement en Floride, n'était pas libre. Pourquoi pas un groupe québécois pour marquer le 400e anniversaire de la première ville québécoise? Parce que les groupes québécois, comme Charles Aznavour au demeurant, viendraient plus tard et que ce soir-là, il fallait faire big et international et montrer à la terre entière, si jamais elle était à l'écoute, que Québec n'avait rien à envier à... Detroit, Chicago ou Philadelphie. On est américains ou on ne l'est pas, et côté rock, Québec revendique son américanité comme aucune autre.

«Is this a celebration?» hurla le chanteur David Lee Roth à la foule dans la langue du général Wolfe en se tordant à la manière d'un ver dans ses collants. La foule, sage comme une image et pas tout à fait à la hauteur de sa réputation de grande rockeuse, répondit oui mollement, confirmant qu'il s'agissait bel et bien d'une célébration, mais que la plus grande raison de célébrer c'était que, grâce au 400e, des spectacles gratuits comme celui-là, il y en aurait à la tonne tout l'été. Yeah!

D'abord vêtu d'une redingote rouge semblable à celle que portaient les soldats britanniques qui ont conquis les Plaines, David Lee Roth s'est vite débarrassé de ses oripeaux pour exhiber ses pectoraux lisses comme de la cire et durs comme du béton. Mais le striptease du quinquagénaire ne l'a pas rendu plus francophile et surtout ne l'a pas aidé à se souvenir de formules élémentaires en français comme «bonjour» ou «bonne fête». Pas une fois pendant toute la durée de sa prestation, David Lee Roth n'a-t-il proféré le moindre mot dans la langue de Champlain.

Quant au guitariste Eddie Van Halen, fidèle à sa réputation et parce qu'un cancer l'a obligé à se faire couper un bout de langue, il n'a pas dit un mot de la soirée, se contentant de tirer des hurlements et des cris de sirène de sa guitare.

En tant que Montréalaise qui a vu le loup, le lion et le renard sur la montagne et qui pensait que le 400e de Québec serait une grosse Saint-Jean célébrée dans une débauche de bleu et blanc, j'avoue que j'ai trouvé la soirée étrange et confondante. J'avais beau chercher des signes de Champlain et de sa civilisation française, tout ce que j'entendais, c'était du gros rock américain et tout ce que je voyais, c'était des millions de lucioles rouges qui clignotaient toutes en même temps. Ces lucioles étaient en réalité des clignotants lumineux incrustés dans le macaron officiel du Festival d'été qu'il fallait porter pour être admis au concert de Van Halen. Ne me demandez pas pourquoi ces clignotants étaient rouges plutôt que blanc, bleu ou vert. Sachez seulement que, dispersés sur toute l'étendue des Plaines, ces clignotants ressemblaient à des soldats britanniques prêts à attaquer. Et que cette fois-ci, ça ne prendrait même pas onze minutes pour qu'ils remportent la bataille.