Ce soir, les Beatles donnent un spectacle dans ma chambre, tout de suite après le souper. Pour une fois qu'on est les quatre cousins ensemble, on ne va pas manquer notre chance. Jouer à Elvis est un plaisir solitaire qu'on pratique devant le miroir. Jouer aux Beatles est un trip de gang.

Paul, c'est moi. Ça, c'est réglé. C'est après que ça se complique. Martin, François et Guy veulent tous être Ringo.

Ils jouent à pareil-pas pareil pour déterminer qui aura la chance de porter la grosse bague de ma tante Louise. Parce que, c'est bien connu, Ringo porte toujours une grosse bague. Guy remporte la mise. Il passe la garnotte à son doigt et s'assoit sur le petit tabouret entouré de grosses boîtes de Corn Flakes vides. C'est la batterie. Comme bâtons, il a les gros ustensiles en bois de ma mère.

Martin s'est résigné à être John. Il a un balai comme guitare. Son balai est un peu long. Il frôle dangereusement le nez de François, qui est George. Ça va être beau tantôt. Surtout que George est bien équipé pour se défendre, il a un bâton de baseball comme guitare. Et moi, j'ai un bâton de hockey comme basse. Le rock'n'roll, c'est du sport!

On a fermé la lumière de ma chambre et allumé seulement ma lampe de travail, qu'on a dirigée directement dans nos yeux. Façon interrogatoire. On voit plein de points jaunes. Ça éblouit, être une star. L'avantage de cet éclairage, c'est que tout autour de nous est noir. Alors on peut s'imaginer que c'est noir de monde.

Mes trois cousins ont tous la coupe Beatles, et ils en sont très fiers. Personnellement, je trouve qu'ils ont plus la coupe René Simard, mais ce n'est pas le moment de péter leurs ballounes. Surtout que moi, je n'ai pas vraiment de coupe. Parce que c'est ma mère qui me coupe les cheveux. Ça ressemble peut-être à Paul quand il se lève le matin, après avoir fumé un peu trop de Ob-La-Di-Ob-La-Da.

On est prêts à se faire aller la tête. Car c'est beaucoup ça, jouer aux Beatles: se faire aller la tête et les épaules, tout en gardant les jambes immobiles. C'est du workout! Surtout qu'il faut que j'aille mettre le disque dans la chambre de ma soeur, parce que je n'ai pas de chaîne stéréo dans la mienne. Et il faut que je sois revenu pour le début de la toune. J'ai le temps que l'aiguille se dirige vers le disque et six secondes de sillon pour le faire.

Notre set, comme on dit à Liverpool, commence toujours par Twist and Shout. Je pèse sur le piton. C'est parti. Je cours. Les Beatles chantent et nous on chante plus fort qu'eux.

Well, chicken top baby now

Twistène chow

Comme Mom, comme Mom, comme Mom, comme Mom, baby now

Comme Mom and worchichichow

You no you look so wood

You no you égouine now

Just l'ail no you wood

Mon grand frère Bertrand prétend que ce ne sont pas les bonnes paroles, mais puisque l'on dit exactement la même chose, Martin, François, Guy et moi, sans jamais s'être consultés, on ne peut qu'avoir raison. Bertrand dit que ce n'est pas de l'anglais. On sait bien que ce n'est pas de l'anglais, c'est du Beatles!

Après chacune des chansons, on se met à crier comme des fous. Question d'entendre la foule en délire. Ça provoque une réaction à la chaîne. Les adultes, à l'autre bout de la maison, en train de boire le digestif dans le salon, crient eux aussi. Ils crient de nous taire! Mais on ne les écoute pas. C'est la révolution!

Oussé Juan ta révolution

Wouèlle you no

We All-Bran tout chance dewors

Nutelle me that tchintchinition

Wouèlle you no

We All-Bran tout chance dewors

Ringo Guy est en feu. Il a passé à travers deux boîtes de céréales. On crie à faire lever le toit, ou pire, un parent. Juste avant de commencer Yesterday, la toune que les trois autres trouvent plate parce qu'ils n'ont rien à faire, j'entends: I love Paul! Je ne rêve pas. C'est ma cousine Johanne qui est dans le cadre de porte: «Est-ce que je peux jouer avec vous?»

Les Beatles se regardent. Pas sûr. George propose quelque chose. Tu pourrais t'asseoir sur le lit et être notre fan. Ça ne lui tente pas. Elle veut chanter avec nous. Ringo est catégorique: y'a pas de filles dans les Beatles!

Je la trouve jolie, ma cousine, alors j'interviens: on pourrait faire comme un duo avec Diana Ross! John se choque: t'es pas ben! Les Beatles en duo avec Diana Ross, ça existe pas! Je hausse les épaules en regardant Johanne: désolé... Elle part en courant et en braillant.

J'enchaîne Yesterday:

Westerne day

All my troubulles siso far west

Les troubles arrivent. Mon père avec ma cousine Johanne:

- C'est vous autres qui avez fait pleurer Johanne? Vous allez vous excuser et vous allez jouer avec votre cousine...

- C'est parce qu'on n'a pas fini notre show des Beatles!

- Les Beatles, c'est assez!

Et mon père s'en va dans la chambre de ma soeur pour éteindre le tourne-disque. Voilà comment Johanne-Yoko a mis fin à la carrière des Beatles de Notre-Dame-de-Grâce. Jusqu'au prochain party de famille.

Parlant de party de famille, quand Paul McCartney va chanter ce soir, c'est la jeunesse des 200 000 personnes devant lui qu'il va chanter. Car peu importe où l'on est né, Québec, Montréal, Saguenay, Toronto, New York, Paris, Londres, peu importe quand on est né, en 40, 50, 60, 70, 80 ou 90, on a tous vécu au même endroit. Dans un sous-marin jaune.

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SUR MON BLOGUE CETTE SEMAINE

Mardi 15 juillet 2008

Air France traite mieux les valises que les gens en fauteuil roulant (je le sais, je l'ai vécu)

L'hôtesse de l'air me dit qu'il n'y a pas de fauteuil. Et elle ne sait pas quand il y en aura un. Tourlou! Bye bye! Tout l'équipage du vol Nice-Paris s'en va. On reste seuls, Marie-Pier, une dame âgée qui a aussi besoin d'un fauteuil et moi. L'équipe du vol Paris-Berlin arrive. C'est la prochaine destination de l'avion où l'on est scotché. Ils commencent à préparer leur vol. Ils sont désolés, mais personne ne veut leur envoyer de chaise (...) On est en train de manquer notre transit. Et ça n'émeut personne. Même que l'on dérange...

Mercredi 16 juillet 2008

Lettre à ceux que ça dérange: Paul McCartney a le droit de venir fêter Québec!

Est-ce qu'on peut fêter avec le monde entier ou faut juste fêter en petite gang? Juste les Québécois de souche. Ouvrez-vous les esprits. Si le choeur de l'Armée Rouge veut venir fêter Québec, qu'il vienne. Si les chanteuses esquimaudes veulent venir, qu'elles viennent. Les danseurs grecs, les joueurs de banjo tchèques, les cracheurs de feu de la Papouasie sont tous les bienvenus... McCartney, ce n'est pas la canadianisation des fêtes du 400e. McCartney c'est l'universalisation des fêtes du 400e.