C'est un cliché bien froid que je vais placer devant vous, mais parfois les clichés sont vrais. Alors: la mort est le dernier tabou.

Parler de ses préférences au lit, évoquer ses trois positions favorites dans le Kama Sutra? Aucun problème. La mort? Ah, là, hein, on en parle du bout des lèvres. On chuchote pour ne pas la réveiller.

Beate Lakotta et Walter Schels, un couple d'Allemands, ont choisi de faire face à la mort, à leur peur de la mort, au moyen de la photo. La trouille qui se transforme en art...

Pendant un an, à Berlin et à Hambourg, ils ont hanté hospices et unités de soins palliatifs. Ils se sont liés d'amitié avec des mourants. Des cancéreux, surtout. Lakotta et Schels ont pris les photos d'une trentaine de personnes, peu avant qu'elles ne quittent cette terre.

Puis, et c'est le punch, ils sont retournés les voir après leur mort. C'était dans le scénario convenu avec leurs sujets: une fois qu'ils seraient morts, un proche appellerait le couple Lakotta-Schels pour l'ultime séance de photo. Comme convenu avec le trépassé.

Ça donne une exposition, Life Before Death, lancée en Allemagne en 2004 et qui se promène maintenant en Europe. Une trentaine de portraits, façon avant-après. Dans l'expo, on voit les portraits de gens comme Edelgard (67 ans), Rita (62 ans), Heiner (52 ans), Peter (64 ans) ou Klara (83 ans). Chaque photo est accompagnée d'une courte description.

Le résultat est à la fois sombre et lumineux, troublant et étonnant, effrayant mais criant de sérénité.

Je suis tombé sur les photos de l'exposition sur le web. Et les clichés du couple Schels-Lakotta m'ont habité pendant une semaine. Aussi bien en faire un papier...

Par courriel, j'ai mené une entrevue avec Lakotta, 42 ans, journaliste à Der Spiegel, et son chum, le photographe Walter Schels, 72 ans.

J'ai demandé à Beate Lakotta ce qui avait poussé les sujets à accepter de se prêter à l'exercice. «Certains croyaient que leur vie n'avait pas été très significative ou remplie de succès, a-t-elle répondu. Ils aimaient l'idée que ces portraits laissent une trace.»

Dans sa longue carrière de photographe, Walter Schels a tiré le portrait de milliers de personnes. D'ordinaire, le plus difficile est d'arracher un sourire spontané aux gens, dit-il. «J'ai toujours tenté de contourner ce sourire artificiel, ce qui est très difficile. Avec ces sujets, personne n'essayait de sourire. Ils n'avaient pas de raison de sourire et n'avaient plus besoin de prétendre quoi que ce soit.»

Le processus fascine autant que les portraits. Accompagner un être cher dans la mort, c'est déchirant. Mais on le fait autant par devoir que par amour. Alors que le couple Lakotta-Schels l'a fait, avec une trentaine de condamnés, par choix.

Pendant un an, Lakotta et Schels se sont donc liés d'amitié avec ces malades. Pour mieux les connaître, afin de les décrire avec les bons mots et de saisir leur essence avec l'objectif. «Ce fut très difficile, raconte Lakotta. Nous nous sentions souvent impuissants, nous ne savions pas quoi faire ou dire.» Pour eux, la dernière séance prenait la forme d'un rite: «Notre façon de dire au revoir à quelqu'un que nous connaissions.»

Au printemps, l'exposition Life Before Death a fait un arrêt à Londres. Y a-t-il une chance pour que La vie avant la mort débarque un jour à Montréal? «Nous aimerions aller au Canada, dit Walter Schels. J'ai vécu à Montréal dans les années 60. J'étais décorateur de vitrines. Si vous savez qui peut être intéressé à accueillir l'exposition...»

Et côtoyer ainsi la mort, ça change quoi?

Beate Lakotta: «Nous connaissons désormais mieux le processus physique et émotif qui accompagne la mort. Et nous avons perdu nos peurs face aux morts. Toucher un corps, c'est un choc. Malheureusement, la plupart des gens voient le corps d'un proche, alors ils ont peur et gardent leurs distances.»

Walter Schels: «Ça m'a aidé à me débarrasser d'un vieux traumatisme. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, j'avais 9 ans, ma maison a été bombardée. J'ai dû identifier des corps de voisins brûlés, j'ai vu des têtes arrachées et j'ai dû ramasser des bras et d'autres parties de corps. Depuis, j'essayais d'éviter tout ce qui avait un lien avec la mort. À 18 ans, je n'ai pas approché le corps de mon père et, à 50 ans, je n'ai pas regardé celui de ma mère. Maintenant, cette peur est partie.»

J'ai demandé à Walter Schels s'il y avait, paradoxalement, une certaine beauté à trouver dans la mort. Il m'a retourné la question: Qu'en penses-tu? J'ai regardé une nouvelle fois ses portraits. Réponse: absolument, Walter.

Les photos de Life Before Death se trouvent à: lensculture.com/schels.html