Nous avons droit à un drôle de débat en ce moment au Québec, entre deux ministres des Finances, l'actuel - Nicolas Marceau - et l'ancien - Raymond Bachand. Ce dernier nous dit que l'économie du Québec va très mal, que nous raterons la cible du déficit zéro et que nous perdons beaucoup d'emplois. Tout ça, bien sûr, ce serait la faute de M. Marceau. Le second rétorque que l'économie ne va pas si mal et que c'est bien mieux aujourd'hui que du temps de M. Bachand.

Évidemment, tous deux réussissent à utiliser des chiffres suffisamment exacts pour ne pas mentir, mais assez bien choisis pour dépeindre la réalité qui leur convient. 

En prenant un peu de distance, on peut conclure que la situation de l'emploi n'est pas catastrophique, mais qu'elle est plus inquiétante que ce que nous laisse croire M. Marceau. De plus, il est vrai que le gouvernement aura moins d'entrées d'argent que prévu - les chiffres du ministère sont clairs -, mais probablement pas à la hauteur du milliard qu'avance M. Bachand.

Voilà un air assez connu. Ce qui rend ce débat étrange, c'est qu'alors qu'ils ne s'entendent pas sur les chiffres, MM. Bachand et Marceau sont d'accord sur les solutions. 

Bien sûr, une fois dans l'opposition, ils se reprochent telle compression ou telle autre, mais dans la réalité du pouvoir, les deux n'ont eu qu'un mot à la bouche pour sortir de la crise: austérité. Ils ne semblent pas s'apercevoir que l'antidote qu'ils proposent est en fait le poison qu'ils prétendent combattre.

Dans une étude publiée en juin, nous annoncions la baisse de revenus que tout le monde constate maintenant. Nous présentions également une analyse plus approfondie de la conjoncture économique qui montre en quoi les stratégies d'austérité sont vouées à l'échec du fait des forces de stagnation omniprésentes dans l'économie. Réduire les dépenses courantes dans ce contexte de relance anémique ne peut que ralentir la croissance sur laquelle compte le ministre Marceau pour atteindre le déficit zéro.

Que les politiques d'austérité soient peintes en rouge ou en bleu, elles déclenchent les mêmes mécanismes et nous enferment dans le même cercle vicieux. Nous avons aussi montré dans cette étude que le ministre des Finances surestime systématiquement la croissance de l'économie québécoise afin de présenter l'atteinte du déficit zéro en 2014 comme réaliste.

Si le Québec veut avancer dans ce contexte économique difficile, le débat doit évoluer. Il faut d'une part rompre avec le dogme de l'austérité et prendre acte qu'il est irresponsable de faire du déficit zéro le fin mot de toute notre politique économique. L'équilibre budgétaire est un résultat et non un objectif de politique économique, comme l'est le plein emploi, la transition écologique ou la distribution équitable de la richesse pour les uns, l'innovation ou la croissance pour les autres.

Il faut aussi débattre à partir de la conjoncture économique telle qu'elle est, pas telle que nous aimerions qu'elle soit. Cette conjoncture n'est pas catastrophique, nous ne sommes pas en dépression ni même en récession, mais nous sommes pris dans une trappe de stagnation qui n'a rien à voir avec les conjonctures des décennies précédentes.

Aucune relance forte ne découlera, dans ce nouveau contexte, de politiques de restriction budgétaire. Cela qui veut aussi dire que la recherche de l'équilibre budgétaire par l'austérité ne pourra qu'amplifier la stagnation et rendra encore plus lointaine et souffrante l'atteinte de l'équilibre budgétaire.