J'ai un doctorat en littérature, mais je travaille comme bibliothécaire à temps partiel dans un petit (et convivial) collège privé en campagne. Parfois, je fais aussi de la suppléance dans les classes de français. J'enseigne alors aux plus petits comment écrire et lire correctement.

Quand je vais en classe, quand je reçois des jeunes du collège en privé, ou même quand ces jeunes viennent me demander un petit coup de main pour leurs travaux de français à la bibliothèque, je fais plusieurs constats: ils n'aiment pas le français, ils ne cherchent pas dans les dictionnaires, ils ne connaissent ni Michel Tremblay, ni Anne Hébert, ils citent Wikipédia dans tous leurs travaux (quand ils citent leur source). Bref, ils trouvent tout cela fatigant, harassant, lassant, inutile.

D'où vient ce ressentiment pour leur langue, leur histoire, leur culture, l'effort dans le travail? C'est la question que je me suis posée dès que j'ai commencé à fréquenter ces jeunes que je fuyais comme la peste auparavant. Que voulez-vous, j'étais habituée avec de jeunes adultes qui étudiaient sérieusement à l'université dans le programme de littérature française...

Dans les classes de premier cycle, quand j'ai commencé à remplacer des enseignants, j'ai été stupéfaite de constater que certains jeunes ne pouvaient reconnaître un verbe d'action dans une phrase simple. Que lorsque des travaux leur sont demandés, s'il y a des questions qui demandent deux réponses dans le même numéro, ils répondent à la première, mais pas à la seconde puisqu'ils ne prennent pas la peine de tout lire correctement. Qu'il y a très peu de place - sinon aucune - d'attribuée au plaisir: plaisir du français, plaisir d'apprendre, plaisir de tout remettre en question, de douter, de faire voir ses connaissances.

Pourquoi ces faces d'enterrement devant l'apprentissage de cette langue, difficile bien sûr, mais si belle, qui est la leur? Pourquoi cette attitude résignée?

Et si je leur dis qu'ils doivent douter de tout, ils s'écrient que ça n'a aucun sens! Que je suis le professeur, donc je sais... Et si je leur permets de contester (pour aiguiser leur sens critique), ils disent aussitôt que ce n'est pas la peine, puisque l'enseignant sait, ou que si c'est écrit (dans ces cahiers et manuels si bien illustrés pour eux et qu'ils remplissent tous aveuglément), c'est donc parce que c'est vrai...

Quand je suis en classe pour des remplacements, je leur parle avec passion de Montaigne et de Pascal. Ils me trouvent un peu folle. Mais c'est justement parce que je les ai lus, ces auteurs, parce que je les ai aimés, et que je les ai étudiés, ces écrivains qui ont fondé notre histoire, que ces jeunes, à travers moi, peuvent apprendre notre langue, sa beauté, sa richesse, sa folie aussi.

J'ai un doctorat en littérature, pourtant, je ne pourrai jamais devenir une enseignante au secondaire. Vous savez pourquoi? Parce que je n'ai pas suivi quatre ans de formation en pédagogie. Je n'ai qu'un doctorat en littérature française...